Thèbes. 15e siècle avant J-C.
La glorieuse Egypte pleurait leur Seigneur et dieu, Thoutmôsis II, dans son ultime voyage dans l’Au-delà.
Son âme franchissait à peine le seuil de la Douat que sa Grande Épouse Royale, Hatchepsout, succédait au trône en qualité de régente suprême.
Le véritable héritier, le prince Thoutmôsis III, fit valoir ses droits. Mais la Reine n’était-elle pas déesse parmi les déesses ? le fruit de l’union d’Ahmés et du dieu Amon ?
Vingt-deux longues années s’écoulèrent lorsqu’Hatchepsout expira dans des circonstances étranges. Mais le nouveau roi et estimé Thoutmôsis n’avait-il pas alors déclamé que la Reine rejoignait dans la sérénité et la quiétude ses divins congénères ?
Fraichement couronné, le sceptre d’or en main, Pharaon asseyait son autorité d’une poigne de fer. En son nom, les ouvriers effacèrent la mémoire de la régente : ils troquèrent cartouches et images de celle qui n’avait pas respecté le deuil du regretté Seigneur contre celle de leur actuel Majesté.
En grand conquérant, Thoutmôsis III assujettit les nations à ses pieds. Il en fit des esclaves pour construire les sépultures éternelles des rois : les glorieuses pyramides.
Mais un peuple osa se rebeller contre l’oppression. Moïse et son porte-parole, son demi-frère Aaron, demandèrent audience auprès de Pharaon.
- Ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël, dit Aaron : « Laisse aller mon peuple, afin qu’il me serve » !
- Mais qui est votre Dieu pour que j’obéisse à sa voix ?
- Il est le Dieu des Hébreux. Il a entendu les gémissements de son peuple et Il te met en garde si tu refuses de te plier à ses exigences !
Mais Pharaon maintint son cœur endurci. Il ignora les ultimatums de l’Eternel.
Le vent chassa alors le temps au fils des plaies que subit le royaume d’Egypte.
Les eaux du Nil devinrent sang [des hommes recrachent ce qu’ils ont bu].
[Souffle du temps.]
Le pays se couvrit de grenouilles et de poux [le peuple atteint de démangeaisons frénétiques se démène dans les rues], suivis d’une colonie de mouches venimeuses.
[Souffle du temps.]
Puis, une épidémie de peste ; suivie de la lèpre [l’éruption de pustules virulentes infeste la population].
[Souffle du temps.]
Ensuite, une pluie de grêle et de feu.
[Souffle du temps.]
Enfin, une dévastation des sauterelles.
[Souffle du temps.]
Puis, les ténèbres tombèrent sur le pays pendant trois jours.
[Souffle du temps.]
Finalement, la dernière et la plus cruelle des plaies : les premiers-nés, dont les poteaux et les linteaux des portes de leur foyer n’étaient pas couverts du sang d’un agneau sacrifié, expirèrent [des clameurs déchirent la nuit]…
C’en était de trop pour Pharaon qui attela son char et dépêcha six cent de ses meilleurs chars à l’encontre du peuple juif qu’il venait pourtant d’affranchir.
Une colonne de feu et de fumé l’immobilisa ; le temps que les Hébreux traversèrent à sec la Mer Rouge fendue en deux.
Quand l’armée de Pharaon foula le même passage, la mer reprit ses droits. Impuissant, Pharaon vit son armée périr sous les eaux : les chevaux, les chars, les cavaliers s’enfonçaient inexorablement dans le monde algide et ténébreux.
La rage qui déformait les traits de Pharaon ne le quitta plus jamais… même au jour funeste de sa momification... [L’embaumeur portant le masque du dieu Anubis clôt le sépulcre.]
- I -
MomiesNécropole thébaine. 1898 après J-C.
Des heurts de roches résonnaient dans l’obscurité… lorsqu’un halo de lumière jaillit ! Une voix masculine, au timbre assourdi, hurla des ordres :
- Continuez ! Encore un effort !
Le pan de pierre qui obstruait le passage s’effondra tel un adversaire vaincu. Des silhouettes humaines plongées en contre-jour découpaient l’entrée. Elles s’effacèrent pour laisser place à deux individus.
- Voilà chose faite, professeur, fit le plus grand des deux, dans un français à l’accent américain prononcé.
- Oui, Mr Summer. J’ai hâte de visiter ce monument !
- Veuillez attendre ici, monsieur. Moi et mes hommes partons en éclaireur.
Armé d’un flambeau et d’un pistolet, le dénommé Summer, accompagné de comparses d’origine arabe, entreprit la descente d’un escalier à la pente raide. De taille élancée, il portait une chemise d’un blanc douteux, une ceinture et une paire de bretelles munie d’un holster serrant son blue-jean couleur havane. La chevelure d’un châtain cendré, une barbe de trois jours mangeait un visage jeune, mais où les yeux trahissaient une détermination qu’aucun incident ne pouvait fléchir.
- ! حذار الخطوات, avertit-il.
[Attention aux marches !]
Les deux serviteurs en file de tête brassaient l’air de leur torche au ras du sol. L’escalier s’enfouissait dans les ténèbres que la lumière peinait à filtrer. L’excavation avait, selon toute vraisemblance, échappée aux vicissitudes du temps : pas la moindre brèche ne lézardait la roche.
L’escalier donnait sans transition sur un corridor à la dénivellation moins accentuée. Un des deux éclaireurs qui s’apprêtait à quitter le dernier degré se tourna vers son employeur, le sourire aux lèvres.
- ! ليس لتقرير
[Rien à signaler !]
Son pied s’enfonça. Un déclic claqua au loin. La pointe acérée d’une flèche se ficha dans sa mâchoire le clouant au mur opposé. Son compagnon ne put fuir à la pluie des projectiles : la gorge tranchée, il s’affala face contre terre.
- Les dalles noires…, remarqua l’américain. Elles sont piégées…
Il admonesta ses laquais qui cédaient à la panique. D’un signe de la main, il plaça un groupe aux premières lignes.
- ! حذار من الحجر الأسود.
[Méfiez-vous des pierres noires !]
Les esclaves sondèrent le sol à l’aide de bâtons avec précaution.
Au bout d’un moment, l’un d’eux signala une autre série de marches. Leur maître stoppa l’expédition. Il sonda les parois des murs opposés, le sol… Un serviteur qui lui serrait de près s’écarta.
- ! موقف, ordonna Summer.
[Stop !]
Trop tard ! Le pied de l’arabe déclencha un mécanisme occulte. Des cliquetis émanèrent de la voûte. L’assistance épiait les alentours. L’affolement se lisait sur le visage de tous. Puis, plus rien. La menace délaissa les lieux. Les traits se détendirent.
Summer s’apprêtait à réprimander le fautif de cet incident quand un bruit suspect lui coupa la parole. Une cloison au dessus de leur tête pivota, dévoilant une niche. Un grondement enflait.
- !!! الفرار, hurla l’américain.
[Fuyez !!!]
Ils dévalèrent la descenderie centrale. Le danger prenait la forme d’une énorme boule de pierre ! Ses premières victimes exhalèrent des hurlements de douleur.
Or, un nouveau dénivelé sans relief poursuivait le couloir. Des Arabes surpris par la déclivité trébuchèrent. Mais personne ne leur prêtait secours. Le bloc eut raison d’eux.
Comme le corridor débouchait sur une étroite embrasure, l’américain exhorta son groupe :
- ! في الغرفة ! في الغرفة.
[Dans la pièce ! Dans la pièce !]
La porte était à portée de main lorsque le sol se déroba ! La dalle coulissait à contre-sens et avec lenteur. Summer s’agrippa de justesse au pourtour de la fosse : un tapis de pieux fichés à la verticale était le sort réservé aux infortunés ! Certains se cramponnaient avec peine aux rebords du gouffre quand la boule les balaya d’une traite ! Des cris abominables jaillirent.
L’américain et quelques-uns de ses compagnons entreprirent de gagner la porte qui était le seul accès à la pièce contigüe. Ils se hissèrent à peine que la dalle se replaçât déjà ! Summer parvint presque à atteindre le porche, mais ses doigts griffèrent le sol. Une main l’empoigna, le sauvant in extremis de la chute. Soulevé de force, il roula en boule. Les esclaves virent avec effroi un des leurs encore suspendu sur le flanc droit. Ce dernier tenta de les rejoindre dans un ultime effort. Mais il était trop tard : ses mains broyées par le bloc mobile le contraignirent à lâcher prise, dans un atroce craquement d’os. Le sol ferma sa gueule dans un fracas.
Summer, toujours allongé sur le dos, ouvrit les yeux : un ciel étoilé parait le plafond du vestibule.
- Abdullah.
- Oui, maître ?
- Je crois que tu peux appeler les autres !
- Très jolie, commentait dans sa langue natale le professeur, vraiment très jolie …
Agé d’une quarantaine d’années, de courte taille et replet, l’égyptologue se tenait sous la voûte céleste peinte à la main. Il étudiait les frises qui décoraient le réduit.
- Vous voyez, Mr Summer. [Il redressait son monocle].Ces motifs, très simples au demeurant, sont ce que vous, les américains, appelez des « kheker-frieze »…
- Monsieur Loret….
- Et dans quel état de conservation nous les trouvons ! Ils n’ont pas été altérés…
- Monsieur… !
- Oui, qu’il y a-t-il ? , rétorqua l’égyptologue avec une pointe d’exaspération.
- Vous devriez voir ça, monsieur.
Deux piliers embellis d’arabesques se dressaient dans la vaste salle contigüe. Une fresque dépeignait sur les parois une scène liturgique illustrée de personnages égyptiens et de hiéroglyphes.
- Splendide, s’exclama Loret... Mais… il s’agit d’un registre de l’Amdouat !
- Le quoi ?
- « Amdouat »…. ce qui signifie « ce qu’il y a dans le Douat », c’est-à-dire le monde souterrain. Cette excavation, mon jeune ami, est bel et bien un tombeau ! Voyez….Nous voyons ici le dieu Nefertem recevant une offrande de la part de Ramsès I et de la reine Ma'at…
- Vous avez raison, monsieur. Cette salle est l’antichambre d’une chambre funéraire située plus bas !
- Vous ne pouvez pas le dire plus tôt ?! Allons-y sur le champ !
La chambre, de forme rectangulaire aux coins arrondis, était flanquée sur sa longueur, de deux cavités de chaque côté. Une paire de colonnes ornées supportait le plafond. Une fresque identique à la salle précédente revêtait les murs.
- Magnifique, dit le professeur les yeux écarquillés, ma-gni-fique. Que contiennent donc ces réduits ?
Summer interrogea ses larbins.
- Des sarcophages, monsieur Loret. On a dénombré quatre momies. Mais en piteux état selon eux.
Le professeur poussa un soupir.
- Dites à vos hommes de prendre garde à ne pas endommager le patrimoine égypt…. Hé !… ce pilier… intéressant … Vous pouvez passer votre torche, Mr Summer ?... Merci… C’est bien cela… Il s’agit des scènes de litanies de Rê, le dieu Soleil !
- Les litanies, ce sont les prières des morts, n’est-ce pas ?
- Tout à fait exact. Des prières d’invocation et de supplication récitées lors des funérailles qui… qu’est-ce-que… ? Comme c’est étrange... Ah, je n’ai pas de porte-plume sur moi. Avez-vous de quoi écrire, Mr Summer ?
- J’ai ce stylet, répondit l’américain en extirpant d’une poche en cuir fixée à la ceinture un couteau à fine lame rétractable.
- Veuillez inscrire sur... votre bracelet de cuir par exemple, les translittérations que je vais vous dicter. Vous voyez ces figures ?, fit-il en désignant dans le sens oriental les hiéroglyphes suivants :
- Elles ont été tracées ultérieurement à la scène des litanies, continua le professeur ... et puis, la grammaire !... une écriture hiératique extrêmement sommaire… ’Aïe-aïe ankh’, lit-il, cela signifie grosso modo ‘revient à la vie’. Et un second, au-dessous… Vous écrivez ? Bon. ‘praïe… kipeuti’ !
- ‘praïe kipeuti’ répéta l’américain en gravant directement sur le bracelet attaché à son poignet gauche.
- Et l’autre : ’Aïe-aïe ankh’….’Aie-aïe’, ici.
- ’Aïe -aïe ankh-aïe-aïe’ ?
- Noon ! ’Aïe-aïe ankh’ ! ’Aïe-aïe ankh’ !! ’Aïe-aïe ankh’ !
Un cognement lointain retentit tout à coup !
- Oh ! , s’exclama le professeur Loret. D’où cela venait ?
- Derrière le second pilier, rétorqua Summer en récupérant son flambeau. Eh !… On l’avait loupé ce truc-là.
Un splendide sarcophage de quartzite, aligné sur la largeur de la tombe, trônait derrière le pilier.
- Hoooooh… hisse ! Hoooooh… hisse ! exhortait l’américain.
Des ouvriers, répartis de chaque côté du sarcophage, soulevaient le couvercle à l’aide de poutres glissées dans l’interstice, où une rangée de rondelles de bois posées au bord assuraient l’opération. Le professeur était tout excité par la découverte :
- Vous vous rendez compte ? Il s’agit du caveau du roi Thoutmès troisième du nom… !
- Hooooooh, hisse !
- .. encore appelé Thoutmôsis III ! Il aurait régné sous le nom de Menkhép…
- Attention !! coupa Summer.
Une main décharnée bondit via l’interstice ! Les manœuvres terrifiés relâchèrent leur préhension. Le couvercle se rabattit brutalement.
- Bandes d’idiots ! Ce n’était qu’un réflexe ! invectiva le professeur.
Il se tourna vers son associé.
- Le cadavre devait être recroquevillé. Ordonnez à vos hommes d’achever leur besogne, monsieur Summer.
Les deux hommes inclinés vers l’avant examinaient leur découverte.
- Voilà que ces incapables me l’ont abimé ! s’indigna Loret. Comment expliquer sinon ces bandes déchirées ? Il est horrible !...D’où viennent ces taches de sang ?
- Un des ouvriers s’est blessé lors de l’incident, monsieur.
- Faites nettoyer cela avant que notre roi en soit imprégné !
Les bandelettes de la momie en piteux état demeuraient inaptes à dissimuler son faciès repoussant. Des yeux cruels, singulièrement ouverts, scrutaient les pilleurs de tombe.