Départ en vacances et gueuleton chez Milos
Un calme étonnant régnait sur le Grand Palais en ce matin ensoleillé. Exceptés le bruissement des fontaines et le chant des cigales, un silence reposant baignait les jardins ombragés et odorants. Quoi de plus normal ? On venait de fêter l'anniversaire de Milos, dernière grande fête avant le mois d'août, beaucoup étaient partis en vacances très tôt ce matin, en une longue file de carrosses, litières et montures, suivant les conseils de Buffle Avisé, un maître Kaï qui avait beaucoup voyagé et connaissait les bonnes routes à prendre et savait quand partir.
Sur la terrasse sud, plusieurs divinités qui n'étaient pas encore parties vaquaient à leurs occupations, protégées du soleil par une grande bâche rayée et frangée : VS avait sorti sa table à dessin et crayonnait avec énergie, Warlock était plongé dans son livre tandis que dav-ID entamait une partie de cartes avec son fidèle Gilibran. La douce torpeur estivale fût interrompue par l'arrivée sonore, bruyante, de Gorak, entièrement revêtu de son armure, sa large épée à double tranchant au côté, le lourd bouclier fixé dans le dos. Le divin forgeron haussa un sourcil :
- Tu pars en vacances en armure maintenant ?
- Non mon cher dav-ID, je ne pars pas en vacances. Je pars défendre une noble cause ! Je pars combattre pour l'Honneur et la Justice tandis que d'autres lézardent sur les plages !
- Si tu nous expliquais ? suggéra VS en jouant avec son crayon.
Gorak, en nage, s'épongea le front avec un vaste mouchoir à carreaux avant de répondre :
- Les nains de Pont de Pierre sont menacés par les Orques des collines une fois de plus. Ces derniers menacent de lancer un raid sur le village.
- Oh, je vois, fît Warlock, relevant le nez de son livre. Et ils t'ont donc appelé à l'aide, c'est ça ?
- Heu, non... Mais pas besoin de m'appeler pour une noble cause ! Dès que j'ai appris ce qui se tramait, ma décision a été prise !
Le Paladin inspira et bomba le torse, avant de dégainer sa lourde épée et de la faire tournoyer au-dessus de lui, manquant déchirer la bâche et effrayant les oiseaux.
- Oui, je pars ! De ce pas, je vais risquer ma vie pour secourir les opprimés et les victimes de l'injustice ! Dès maintenant, je...
VS l'interrompît tout en taillant son crayon :
- Au retour, passe chez le poissonnier et prends des maquereaux tu veux ? Adrian vient dîner dimanche soir et je veux lui faire des maquereaux aux citrons grillés et au vin blanc.
Le Paladin se retira dans un grand mouvement de cape, croisant Milos qui rejoignait la terrasse.
- Où va donc Gorak avec tout cet attirail ?
- Secourir les nains de Pont de Pierre menacés par les Orques, répondît dav-ID en abattant ses cartes.
- Et vous lui avez pas dit que les nains et les orques ont finalement signé un traité de paix ? On l'a appris hier soir.
Le divin Forgeron haussa ses épaules :
- Il finira bien par s'en rendre compte tout seul.
Milos s'ébroua et passa derrière VS pour regarder son dessin par-dessus son épaule :
- Ha oui, magnifique ! J'adore ce ciel bleu avec cette mouette blanche au milieu !
- C'est pas un ciel, c'est la mer... Et c'est pas une mouette, c'est un voilier...
- Heu oui, bien sûr... Et l'oiseau, là, au premier plan : remarquable !
- C'est pas un oiseau, c'est le grand-prêtre avec sa coiffe de plumes...
Alors que VS déchirait sa feuille à dessin avec un soupir, Milos préféra changer de sujet :
- Je venais vous inviter à déjeuner ce midi. Venez tous, ça me fera plaisir qu'on se voie une dernière fois avant les vacances. Rendez-vous chez moi, dans le petit jardin à l'arrière de la caserne, à la treizième heure, ça vous va ?
Le petit jardin attenant à la caserne était une oasis d'ombre et de fraîcheur, à l'abri des regards, bordé d'un grand bassin couvert de nénuphars. Une longue table en bois, massive, avait été dressée, couverte d'une nappe à carreaux. Les invités furent surpris de découvrir en guise de chaises deux grands bancs de bois, en fait un tronc d'arbre que Milos avait coupé en deux et auquel il avait rajouté des pieds. Un tablier noué autour de la taille, son torse nu luisant au soleil, le guerrier aux 1000 victoires salua tout le monde depuis la cuisine :
- Installez-vous, installez-vous ! C'est comme à la Taverne ! J'arrive !
- J'avoue avoir un creux, j'ai hâte de déguster un melon bien frais et juteux, minauda Lowbac en prenant place.
L'instant suivant, un énorme plat de charcuterie, jambon, saucisson, pâtés et terrines, accompagnés de deux gros pains de campagne, était posé devant lui avec bruit sur la table.
- Voilà pour les entrées, commencez, je vais chercher le reste !
Les invités se regardèrent, un peu surpris, tandis que le colosse revenait et posait un autre plat :
- Brouillade d'oeufs aux chipolatas ! dav-ID, VS, un petit coup de rouge, de blanc ou de rosé ?
- Heu, pas d'alcool pour moi, merci, murmura le divin forgeron.
- VS ?
- Heu, juste un fond s'il te plaît. Il est pas trop fort ? Je crains un peu l'alcool.
- Mais non ! Tu verras, ça se boit comme du petit lait !
Son verre bu, le divin voyageur se retrouva à faire le tour de la table, les yeux fermés et les bras tendus, agitant les mains devant lui tel un magicien inspiré...
La majorité des divinités gisaient sur les bancs, amorphes, ressemblant à de grosses baleines échouées. Les énormes côtes de boeuf accompagnées de purée de pommes de terre et d'omelette au lard qui avaient suivi y étaient peut-être pour quelque chose... Warlock, blanc comme un lavabo bouché, se tenait le ventre à deux mains, menton posé sur la poitrine et murmurait : "J'vais gerber... J'vais gerber..." sans s'arrêter. A sa gauche, Vik se massait le ventre avec une grimace, prisonnier depuis plus d'une heure d'un rôt monstrueux qui n'arrivait pas à sortir, semblant hésiter entre l'orifice du haut ou celui du bas. VS s'en était mieux sorti : tout au long du déjeuner, il avait discrètement refilé son assiette à Hippocrate, le monstrueux Saint-Bernard de Vik qui s'était assis non loin. Malgré tout, le divin voyageur crût qu'il allait tourner de l'oeil quand Milos, en pleine forme, posa un immense plateau de fromages sur la table :
- Allez ! Un morceau de fromage fait digérer tout le repas !
A la surprise générale, ce fût Lowbac qui osa protester, d'une voix faible :
- Heu, Milos... Tu... Tu n'aurais pas quelque chose de frais et léger s'il te plaît ? Des fruits par exemple.
- Hum, je crois qu'il y a du melon dans le cellier. Je vais voir.
Le maître de maison avait à peine tourné les talons qu'un gargouillis vorace, monstrueux, fît sursauter tout le monde. Vik, gêné (mais soulagé) s'excusa :
- Il a fini par sortir. Désolé.
- Vik, demanda dav-ID d'une voix pâteuse, t'as pas quelque chose pour digérer dans ta sacoche ?
- Je l'ai laissée dans mes appartements.
- Et merde...
Milos revenait et déposait un plateau orné de plusieurs tranches de melon, un melon frais, à la chair ferme et sucrée, d'un orange gorgé de soleil. Lowbac distribua les parts, jeta un regard interrogateur à Warlock qui fît non de la tête, dents serrées :
- Non, merci : si j'ouvre encore la bouche, ça va mal se terminer...
L'arrivée du melon est toujours un grand moment lors d'un déjeuner d'été. Car il correspond généralement avec l'arrivée d'une guêpe. Et puis, de toute la colonie. Alors que tous attaquaient leur melon, les guêpes attaquèrent elles aussi. dav-ID se précipita sous la table pour échapper au nuage noir et bourdonnant qui venait de s'abattre, VS plongea dans le bassin, Milos se mît à donner de grands coups de torchon rageurs, assommant Vik au passage sans le faire exprès. Confus, le colosse se retrouva à genoux près du divin guérisseur, lui tapotant la main d'un air navré. Lowbac, lui, restait immobile, souriant et stoïque :
- Faut pas bouger. Si vous ne bougez pas, elles ne vous piqueront pas.
Le pauvre avait la figure comme une immense fraise, rouge et boursouflée. C'en était trop pour Warlock : à sa vue, le divin érudit sentît la tempête se déchaîner dans son ventre, il devînt aussi blanc que les neiges éternelles de Kalte et se rua vers l'intérieur de la maison, à la recherche des latrines, suivi à un demi-cheveu par dav-ID.
Le lendemain matin, Milos se trouva seul sur la terrasse pour boire son café matinal. Tous les autres étaient cloués au lit, dans leurs appartements, victimes d'une indigestion colossale. Même le chien, à la grande incompréhension de Vik. "Encore un virus probablement, ça devient inquiétant" pensa le guerrier.