- Aronaar a écrit:
- Contrairement à l’écrasante majorité des LDVELH, laquelle prenait place dans des univers fictifs, la collection Histoires à Jouer puisait dans une source abondante : notre bonne vieille Terre, avec son Histoire et ses mythes.
Comme cela ne vous aura pas échappé avec le titre du volume, ami Lecteur, ce sont les seconds qui vont nous intéresser cette fois-ci ! Peut-être était-il inévitable, vu le caractère prolifique de la série, que ce classique parmi les classiques soit abordé ; après tout, pourquoi pas ?
Epreuves des dieux, créatures fantastiques, périls à la douzaine, longue traversée : les pérégrinations d’Ulysse constituent une aventure épique en soi, la transposition au format des livres interactifs semble presque couler de source- bien que comportant un écueil certain.
Mais à la lecture de ce tome, elle semble être un lointain rivage pas si aisé à atteindre…
Pour quelles raisons ? Prenez votre répertoire d’appels divins, préparez-vous à ramer ferme et découvrons-le ensemble !
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O Muse, conte-moi l’aventure de l’Inventif
Le nom d’Ulysse est célébré parmi les Grecs de l’Antiquité, car ce héros rusé, sage et puissant roi d’Ithaque la prospère, joua un rôle crucial durant le siège de Troie (vous savez, ce petit affrontement déclenché car un certain quidam avait décidé d’enlever une certaine Hélène, choses qui ne se font tout de même pas lorsqu’on est un brin civilisé).
Ambassadeur de renom et vainqueur d’Ajax, c’est en effet lui qui fit triompher les Achéens grâce au fameux Cheval de Troie, lequel poursuit sa propre légende de nos jours sous forme de logiciel malveillant.
S’il est bel et bon d’aider à remporter un conflit et d’avoir du prestige tout autour du ventre, Ulysse n’a néanmoins qu’une envie bien compréhensible : rentrer chez lui, retrouver son fils et son épouse, laquelle est assaillie par les demandes de multiples prétendants.
Bien entendu, si on parle de l’Odyssée d’Ulysse, c’est que le voyage de retour ne fut ni bref, ni reposant…
Et là intervient l’écueil mentionné précédemment : la durée. Dans l’Odyssée, le roi d’Ithaque reste absent pendant plusieurs lustres : ne serait-ce que sur l’île de Calypso, il est retenu sept années.
Il serait déraisonnable d’espérer d’un LDVELH qu’il rende parfaitement cette temporalité, néanmoins, l’entreprise est un insuccès, pour deux raisons.
La première se retrouve généralement dans cette collection : une relative brièveté du livre.
Ici l’on peut comptabiliser 198 paragraphes, pas forcément très fournis et souffrant de remplissage par endroits- j’y reviendrai.
De fait, l’aventure en elle-même s’étalera au maximum sur 11 évènements, comme on peut le voir avec cette roue du destin qui guide note progression :
Votre traversée débute nécessairement au 109 et se terminera une fois parvenu au paragraphe 15, qui correspond à Ithaque- à moins que vous ne regagniez cette dernière d’une autre manière, à la suite d’une débâcle.
Pour avancer le long de cette roue, il suffit de lancer un D6 : de 1 à 4, vous progressez d’un cran vers la droite, 5 ou 6, vous progressez de deux crans ; bien sûr vous ignorerez tout paragraphe auquel vous vous serez déjà rendu.
Il en résulte obligatoirement une dé-linéarisation et si la main de Poséidon, devenue amicale au lieu d’être vengeresse, vous déposait magiquement à Ithaque, vous pourriez terminer l’aventure sans besoin de nul objet ou information préalable.
La seconde raison a trait à la façon de conter cette version condensée de l’Odyssée. Les descriptions sont peu enchanteresses, la narration tirant bien plus sur le laconique qu’autre chose, beaucoup de paragraphes sont d’une sobriété n’incitant pas à l’immersion.
On passe ainsi trop rapidement d’une île à une autre en jouant à saute-mouton sur la roue du destin, les moments forts se faisant rares. Ce n’est pas faute de reprendre les tribulations connues d’Ulysse : rencontre avec Circé, démêlés avec les Cyclopes, petite excursion dans les Enfers…
Mais même celle-ci est rapidement expédiée : échappez aux mâchoires de Cerbère, survivez contre un scorpion mythique, jouez ou non aux dès avec Minos, vous voilà arrivé pour effectuer le rituel et quérir un oracle d’outre-mort. Difficile alors d’être d’accord avec le texte, décrivant votre héros comme hagard après toutes ces épreuves !
D’ailleurs, l’inventeur du Cheval de Troie ne sera pas forcément le plus à son avantage dans cette aventure.
Connu pour être rusé et inventif, il ne brillera quasiment pas par ces qualités… Doit-on vraiment le louer pour sa sagesse, si, au sortir de la première bataille dans le livre, vous choisissez de mettre les voiles après avoir pillé la ville Thrace ? S’attarder semble présenter un risque assez évident.
A contrario, vous n’irez pas enivrer les cyclopes : ce sera la fuite, l’aide divine ou une bataille rangée.
Sans s’attendre, même de loin, à un niveau d’écriture rivalisant avec l’excellente trilogie grecque Le Lion de Macédoine, de David Gemmell, il y a de quoi être déçu par cette retranscription d’un tel mythe.
Cependant nous sommes dans un livre-jeu : la partie ludique rattrape-t-elle l’ensemble ?
Débarquons de la trirème à la section suivante pour nous en assurer. Si vous êtes déjà familier du système de jeu général des Histoires à Jouer, vous pouvez gaiement ignorer la première partie de la prochaine section, qui va porter sur les éléments se retrouvant d’un tome à l’autre.
Nous reprîmes la mer avec tristesse, heureux d'être vivants, mais pleurant nos compagnons morts
De l’Antiquité au temps des gangsters, en passant par la France médiévale, votre personnage est principalement défini par trois caractéristiques :
- Les capacités physiques : tout ce qui a trait à la force et l’endurance.
- Les capacités manuelles : en relation avec la dextérité.
- La communication : la capacité à embobiner son prochain.
Vos points de vie sont égaux à votre capacité physique multipliée par 2.
Afin de définir vos scores, deux solutions : lancer un D6 pour chacune d’elle et rajouter 3 points, ou bien choisir parmi une liste de six « builds » déjà établis.
Cette seconde option ne manque pas d’attraits car avec une base fixe de seulement 3 points, le score d’un D6 représente une variance non négligeable.
La vocation de ces caractéristiques est bien sûr d’être testé, néanmoins, à la différence de beaucoup d’autres livres, il ne s’agira pas de rester dans le seuil de votre caractéristique, mais bien d’ajouter la valeur de cette dernière au lancer d’un D6.
Si le résultat est égal ou supérieur à l’indice de difficulté de l’épreuve en question, c’est réussi !
Le système est assez robuste : c’est une amélioration notable par rapport à des mécaniques ultra-classiques comme celles des Défis Fantastiques et donne un peu de corps à votre personnage.
Qu’en est-il du système de combat ? Les choses sont assez simples et ressemblent – vous aurez deviné ce qui va être mentionné – à ceux dans les Défis Fantastiques.
Foin d’Habileté, ici, les capacités physiques déterminent également la capacité de combat, qui est fonctionnellement la même chose (ce qui peut causer un certain déséquilibre, puisqu’elle est à la racine de deux autres mécaniques : on est naturellement incliné à la privilégier par rapport aux autres).
A chaque assaut, la formule connue prévaut : au lieu de deux dés, un seul est lancé, on rajoute le total de départ de capacités physiques, celui obtenant le plus gros score blesse le malheureux en face de lui.
Les dégâts sont déterminés par l’arme utilisée : un couteau fera perdre 3 points de vie, une épée 4 etc. ; auquel on retranche tout éventuel point de protection.
Trois subtilités :
- La fuite, au risque de vous prendre une blessure : l’intérêt semble faible et le texte ne vous en donne l’opportunité que de façon très variable selon les volumes.
- Un malus lorsque vous affrontez plusieurs adversaires : -1 à votre capacité de combat pour chaque adversaire en plus du premier que vous affrontez, jusqu’à un malus de -3. Inutile de préciser que dès -2, les carottes sont probablement cuites…
Les situations les plus courantes sont toutefois du 1 VS 1 ou du 1 VS 2.
Le système a essentiellement les mêmes vertus et les mêmes failles que celui inventé par Livingstone et Jackson : une absence de complexité et un déséquilibre patent selon les scores en capacité de combat, sans réel harmonisateur (et pas de test de Chance pour rattraper les coups durs).
Une nuit comme une journée de repos permettent de regagner 2 points de vie, les possibilités de soin
variant diablement d’un tome à l’autre.
Notez enfin que pour votre confort, les pages de chaque livre comportent des dés imprimés, ainsi qu’une table de hasard.
Venons-en maintenant aux règles spécifiques à cette aventure. Tout d’abord, une quatrième capacité : le Commandement, puisqu’après tout vous partez de Troie avec une flotte de 12 navires et 600 hommes !
Elle reflète vos capacités en tant que meneur et se calcule de la même manière que les autres caractéristiques, pouvant augmenter durant votre lecture et apportant un bonus (ou un malus si elle est trop faible) pour les combats navals et entre armées.
Si jamais votre Commandement tombe à zéro, vos vaillants soldats auront assez soupé de vos décisions ineptes et votre voyage s’arrêtera là…
La particularité majeure de ce livre interactif tient aux combats collectifs. Là, la capacité de combat est déterminée par le nombre d’hommes (chaque tranche de 100 équivaut à 1 point) auquel on additionne votre bonus de Commandement et tout éventuel autre boost.
Vous pouvez notamment effectuer un sacrifice aux dieux avant une bataille, en tentant un test de Communication de 10- ce que je ne vous conseille pas à moins d’avoir un très bon score dans cette caractéristique. En effet, s’il réussit, vous obtiendrez +2 en capacité de combat, mais s’il échoue, vous écoperez d’un -2 à la place !
Vous devrez aussi choisir votre attitude individuelle au combat, du refus de participer à l’héroïsme. Les malus et bonus varieront alors, ainsi que les ennemis que vous affronterez en duel après avoir utilisé la table des évènements dédiée. Si être héroïque vous vaut un impressionnant +3 en capacité de combat, vous risquez fort d’y laisser votre peau !
Les dommages infligés sont calculés ainsi : pour chaque tranche de 100 hommes, 5 points de dégât.
Pour le reste, ces batailles suivent le même schéma qu’un combat normal- à ceci près, bien sûr, que plus une armée perd d’hommes, moins elle a de chances de gagner un assaut et moins elle tue d’adversaires.
Lorsqu’on pense aux héros et ennemis dans les LDVELH (et la majorité de de ceux des jeux vidéo), véritables parangons de stoïcisme dont la capacité offensive reste identique même quand ils perdent du sang par une douzaine de blessures, on pourrait se satisfaire de cette concession à la vraisemblance.
Pour autant, cela met en exergue un système où, une fois la spirale de la défaite amorcée, il est difficile de s’en sortir !
D’un point de vue plus prosaïque, cela donne également lieu à des affrontements susceptibles de paraître quelque peu longuets… Surtout que les auteurs aiment nous plonger fréquemment dans une bataille à une autre.
Le niveau de détail des illustrations est assez variable.
Je sens que vous avez soif de règles supplémentaires, ami Lecteur, tout comme n’importe quel mortel aurait soif d’ambroisie et vous n’allez pas être déçu.
Ou il est fort probable que vous le soyez quand même. Il y a deux règles supplémentaires pour les combats individuels, aussi mal pensées l’une que l’autre : le cri guerrier et la transe guerrière.
Le premier vous permet d’ajouter +5 à votre capacité de combat lors du premier assaut- si vous parvenez à réussir un test de communication de 14 ! Rappelons que votre score maximal dans cet attribut est de 9, même ainsi, vous n’auriez qu’une chance sur trois de réussir à impressionner votre adversaire par vos vocalises primales.
Hélas et comme on s’en doute, si vous loupez le test, c’est l’ennemi qui gagne ce même bonus ! S’il peut être assez cocasse d’imaginer Ulysse souffrir d’un enrouement subi, des veines de colère pulsant sur son front, tandis que son antagoniste se gausse et le massacre allégrement, on oubliera aussi sec cette mécanique.
La seconde vous donne +3 en capacité de combat pour toute la durée de l’affrontement, à condition de réussir un test de communication, difficulté 13. Pas de malus si vous échouez, par contre, si la transe prend, il faut réussir un test de Capacité physique 9 en ajoutant à la difficulté tout point de vie perdu : si vous échouez, notre pauvre monarque fait un infarctus et décès aussi sec.
[bHélas : en quelle terre ai-je encore échoué ? vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice, ou des hommes hospitaliers craignant les dieux ?[/b]
Vous en voulez encore un peu ? Alors sachez qu’il existe également un concept de ravitaillement : à chaque fois que vous vous déplacez sur la roue du destin, vous perdez une unité de ravitaillement.
Comme l’on s’en doute, à 0 de ravitaillement, c’est le début d’histoires sordides lorsque des dizaines d’humains se retrouvent dans un petit espace sans nourriture, et la fin de votre aventure.
Il faudra donc prendre soin de chercher des ressources lors de vos escales, une préoccupation logique et cohérente.
Comme vous l’avez vu sur la feuille d’aventure, vous devrez également tenir un suivi de la flotte et de votre armée. A plusieurs reprises vos navires pourront essuyer des dégâts, chaque transport coulé verra la mort de tous les hommes ne pouvant trouver de place ailleurs.
Je vous laisse deviner ce qui survient si vous vous retrouvez sans plus aucun navire…
Enfin, comme vous allez prendre moult horions et blessures dans votre voyage, les auteurs ont décidé d’inclure une possibilité supplémentaire de se soigner.
A chaque fois que le texte vous le proposera, vous pourrait essayer un test de communication difficulté 10, s’il réussit, Pan soulagera une partie de vos maux. Si vous êtes surpris à la mention du fils d’Hermès, je l’ai été également : on le connaît plus volontiers en protecteur des bergers qu’en dieu guérisseur.
Quoi qu’il en soit, vous aurez fréquemment l’occasion de demander un coup de pouce aux Olympiens, également avec des tests de communication, pour vous sortir d’un mauvais pas ou demander conseil.
Pour le lecteur peu familier avec le panthéon grec, un index succinct renseigne sur les divinités et leurs attributs principaux, ce qui permet de guider votre décision.
Inutile ainsi d’espérer l’aide de Poséidon face aux cyclopes, dont il est le père ! Hélas et assez souvent, plusieurs dieux seront juste muets, sans plus d’explications.
Lorsqu’on sait que la table des évènements représente plus de 10% des paragraphes du livre, cela enlève encore de la matière à une aventure qui s’éloigne encore plus du qualificatif d’épopée.
Tout comme les oracles pouvaient être tarabiscotés dans Les Chroniques Crétoises, le système, pour pertinent qu’il soit dans le contexte, n’est pas mis en place d’une excellente manière.
Pour en terminer concernant l’aspect ludique, nous retrouvons, comme c’est de coutume dans cette collection, toute une série de mini-jeux prenant place le temps d’un paragraphe.
Si on trouve parfois ces sortes d’activités annexes dans les LDVELH (on pensera notamment à la Quête du Graal, Brennan nous proposant un rituel loufoque, la fabrication d’un bateau en papier dans un tome se passant aussi dans la Grèce Antique, la confection d’une machine à ramper préhistorique…) cela reste plutôt marginal, et on aurait envie de louer cette volonté.
N’est-ce pas une bonne occasion d’injecter de la variété ?
J’espère pour autant que vous aimez les hexagones, ami Lecteur, car les jeux ressembleront essentiellement à ceci :
Les autres se passeront essentiellement en mer, en lançant des D6 pour simuler des déplacements, par exemple entant d’échapper à Charybde et Scylla, l’un des deux engloutissant des hexagones de mer.
Sur le principe, c’est une bonne manière d’impliquer davantage le joueur en conférant un petit aspect jeu de société/jeu de rôle, avec une représentation graphique.
Dans les faits, ils deviennent un brin répétitifs et surtout, légèrement fastidieux à cause de leur longueur.
Simuler le déplacement de dix vaisseaux et de six rochers pendant plusieurs tours n’a rien de follement exaltant !
En dernière analyse, on constate rapidement que l’aspect jeu prédomine largement dans Le voyage d’Ulysse.
Je suis personnellement partisan d’un équilibre entre les deux composantes, à défaut, que le récit prenne le pas sur la partie purement ludique.
Fleurir en Hiver montre avec brio que cette dernière formule fonctionne très bien, du moment qu’on livre une histoire bien ficelée.
Ce n’est hélas pas le cas avec cette aventure !
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« Heureux qui comme Ulysse a fait un voyage express »
Avec un tel matériau de base, il est aisé d’éprouver de la déception en voyant tellement simplifié et condensé les épreuves endurées par Ulysse.
On pourra éprouver de la peine à rentrer dans ce récit mythique à cause de la sécheresse de la narration et d’un orientation claire vers les lancers de dés et les jeux. S’il y a bien une variation majeure – rentrer à Ithaque seul et dépenaillé, ou bien avec une partie de la flotte victorieuse – devoir revivre autant de combats, dotés d’un faible enrobage narratif, est susceptible de décourager.
Si vous recherchez une plongée plus sérieuse dans ce thème, même si elle comporte aussi des défauts patents, je vous recommanderai Les Chroniques Crétoises.
Toujours dans le même thème, si vous avez envie d’explorer des îles plus vivantes dans une ambiance absurde et en compagnie de Jason plutôt que d’Ulysse, pourquoi ne pas embarquer pour le Voyage de
l’Effroi (qui porte très mal son nom) par Brennan ?
Enfin, si vous avez l’appétit pour une aventure copieuse explorant de manière détaillée moult mythes et créatures de légendes de l’Antiquité Grec, toujours en vous baladant d’une île à une autre, je vous recommande fortement l’excellent Cyclades. Note : 9/20