You are Judge Dredd in House of Death
Récit de T.B. Grover
Dessiné par Bryan Talbot
Gameplay par Pat Mills
Amateurs de machoires carrées et de pistolets qui font "vadoom vadoom vadoom", bienvenue !
En quelques mots
Judge Dread in House of Death ouvre le premier numéro de 2000AD Diceman.
Il s'agit d'un récit graphique interactif en 20 planches et 100 cases, règles incluses.
Le contexte
Au 22ème siècle, MegaCity One est l'une des immenses métropoles où s'entassent ce qui reste de l'humanité. Dans cet univers, les "Juges" sont à la fois enquêteurs, juges, jurés et bourreaux. Parmi eux, Dredd est redouté pour son interprétation littérale et inflexible du code de la loi.
Crée dans la fin des années 70, l'univers de Judge Dredd s'est peu a peu développé au point de devenir l'une des propositions post-apocalyptique/dystopique les plus riches et intéressantes de l'époque. Les auteurs successifs y tendent à leurs lecteurs une loupe donnant à voir de manière crue et cynique notre propre société dans ses travers les plus brutaux.
Le récitDiceMan s'adresse a priori à un public de lecteurs familiers de 2000AD.
Pas question de s’embarrasser donc à présenter le personnage ou son univers. Un ordre de mission laconique suffit à lancer l'action : une demeure abandonnée depuis longtemps sur le front de mer semble abriter les activités d'un culte bien connu des juges. Il s'agit d'enquêter et de mettre un terme à tout agissement contraire à la loi, au besoin par la force, bien entendu.
Dredd découvrira rapidement les intentions du culte en question : créer un passage pour les "Dark Judges", des jumeaux asymétriques de Dredd et de ses collègues. Ces morts-vivants rôdant dans une dimension alternative considèrent que la vie elle-même est la source de tout désordre (et, partant, de toute "infraction") et doit donc être éliminée. A noter que le chef de ces juges s'appelle Death... et le titre de l'aventure prend alors son sens.
Dans le lore, la présence des Dark Judges permet un effet assez saisissant de jeu de miroirs : le lecteur observe (et subit tout à la fois) les errances ultraviolentes et fascisantes d'un Dredd confronté lui-même à une forme de "justice" encore plus absolue et insensée que la sienne...
Mais ici, T.B.Grover ne s'embarrasse pas de telles considérations. Il nous propose plutôt de vivre, dans toute sa brutalité, l'intrusion fracassante de Dredd dans la demeure au cours d'une scène d'action qui s'étend tout au plus sur quelques minutes en temps réel.
Il s'agit d'incarner, au sens premier, et non pas d'objectiver.
Ainsi, nulle place n'est laissée pour entrevoir les motivations des cultistes. Ils sont seulement
là, prétextes à la confrontation de Dredd et des Dark Judges.
Donc... un récit d'action, de fureur et d'horreurs cachées dans les replis du visible !
En tant que tel, ce récit tout en tension fonctionne parfaitement, mais aurait mérité davantage de profondeur. Hélas, dans l'espace qui lui est alloué, Grover doit aller à l'essentiel pour parvenir à composer un ensemble cohérent.
Le jeuLe système de jeu est simple et efficace. Dredd est affublé d'une seule caractéristique (l'énergie), variant de 41 à 46 après le lancer d'un dé. En cas de combat, on compare le résultat de deux dés avec la précision de ce qui nous attaque. Si l'attaque touche, on perd le nombre de points d'énergie mentionné. Il y a au maximum un seul tour de combat par case.
Autrement dit, c'est un simple système d'attrition : au fur et à mesure des rencontres, le score est susceptible de diminuer... jusqu'à l'éventuel trépas de Dredd.
La structure du récit est également assez simple. Pour autant, l'exploration de la demeure est fun et réserve quelques surprises. Il est possible de récupérer clés, objets et armes simplifiant la suite.
Certaines idées sont assez savoureuses, comme la scène permettant de prendre les cultistes à revers, à comparer avec l'entrée frontale et directe.
En dehors du trépas par excès d'acier dans l'abdomen, il y a deux fins narratives possible, l'une étant le succès de notre mission et l'autre un abominable PFA. Encore une fois, je pense qu'il n'aurait pas été possible de proposer davantage dans l'espace alloué sans saccager d'une manière où d'une autre la continuité et la cohérence des scènes.
Cette première aventure est plutôt facile. Il s'agit, je pense, de mettre le pied à l'étrier à un public composé pour partie de débutants dans le genre.
VisuellementLe légendaire Bryan Talbot maîtrise parfaitement son sujet et parvient à retranscrire à la fois le côté lovecraftien du culte et l'intensité frénétique des combats... ce qui n'est pas un mince exploit vu le grand écart tentaculaire dont il s'agit. L'action est toujours lisible : en tout temps, on comprend où l'on est, ce que l'on voit, ce qu'il se passe.
Très beau travail du clair-obscur par endroits. Beaucoup de cases sont dessinées en vue la première personne, ce qui aide tant à l'immersion qu'à installer l'ambiance.
J'aurais aimé un découpage plus audacieux et inspiré, à l'image du travail de Kevin O'Neill sur
Nemesis (cf l'aventure suivante dans le même numéro). On reste sur quelque chose d'assez simple sur ce plan-là.
Ce que j'en pense...Eh bien, il faut savoir à quoi on va jouquiner ! L'aventure est immédiatement plaisante et prenante, mais elle est nécessairement impactée par son format.
Trois aventures dans un seul numéro, voilà qui limite forcément les possibilités tant d'ouverture du gameplay que de richesse du récit. Tout au long de la publication de la minisérie, les auteurs successifs tenteront chacun à leur manière de répondre à cette contrainte créative.
Cet élément est absolument à prendre en considération pour qui souhaite se lancer sans être frustré. Nous nous retrouvons face à une oeuvre nécessairement minimaliste, mais qui crache ses tripes pour nous embarquer !
Aux pinceaux, Talbot est comme toujours époustouflant (nous le retrouverons quelques mois plus tard dans le numéro 3!)
Dans tous les cas, ce Judge Dredd in House of Death est une petite pépite d'action écervelée, qui subit son format autant qu'elle le transcende.
Je lui accorde avec plaisir la note de
15 /20