Dans le Bestiaire de Titan, la 2ème aventure interactive proposée est signée Gwalchmei. Un peu comme dans la série Double Jeu, elle permet à deux lecteurs de la vivre ensemble, par le biais de renvois de paragraphes différents selon les décisions de l'autre dans son parcours parallèle. La grande différence avec ce qu'on connaît déjà dans ce système est que le 2ème larron est indispensable, l'aventure n'étant pas prévue pour le jeu en solo. C'est original mais surtout une grosse contrainte, n'ayant pas forcément sous la main une bonne âme pour nous accompagner dans cette drôle d'expérience.
J'ai donc choisi de la vivre en mode schizophrène, lisant alternativement les paragraphes de l'un et l'autre héros incarnés. Ce ne sont pas les conditions idéales pour profiter de l'aventure, j'en ai peur.
Visiblement amoureux de l'Ile du Roi-Lézard (n'attendons-nous pas d'ailleurs une suite presque achevée du même auteur ?...), Gwalchmei nous propose de revisiter un passage mythique de ce DF : le bourbier avec la sauterelle... pardon sauteuse du marais. Souvenez-vous : les crocos, l'hydre à deux têtes et le terrifiant SUCEUR DE VASE, marquant à trois titres : son nom, son illustration et ses caracs (Habileté 12 avec le malus de 2 points!).
Donc ici j'ai joué un aventurier bien chevronné, plus costaud même en moyenne que l'aventurier anonyme de l'Ile du Roi-Lézard. Entre sa grosse Habileté et ses capacités de combat spéciales, il semble taillé pour survivre à bien des aventures. En parallèle, je me suis mis dans la peau écailleuse d'une sauteuse des marais, frêle au possible mais possédants plein de petits pouvoirs et surtout, une connaissance parfaite de l'environnement.
La mini-AVH semble proposer de prime abord un jeu de chat et la souris entre ces deux êtres si différents. Mais on découvre vite que la symbiose est nécessaire entre ces deux rivaux et on va avoir à un vrai scénario, avec son rebondissement. Pas simplement un duel détaillé. Et quand on voit la taille réduite de l'aventure (30 longs paragraphes multipliés par deux, mais ce dédoublement change les points de vue, pas les évènements), c'est un beau tour de force et une bonne surprise. J'ai en particulier adoré la fin en suspens qui fait frémir d'indignation et de peur pour l'un des héros. Je ne peux pas en dire plus...
L'atmosphère est très soignée mais cela ne surprendra personne connaissant l'écrivain. On sent la culture géologique et botanique de Gwalchmei, ou son souci de la documentation. Car les descriptions des sensations, du paysage et de la faune sont précises, nombreuses et pertinentes. On sent l'humidité qui glace nos chevilles, les senteurs âcres des végétaux en décomposition, les piqures de moustiques. On entend les cris lointains des oiseaux, les grondements d'un volcan... Bref on y est. Impressionnant de voir comment 8 ou 9 malheureux paragraphes de Ian Livingstone ont pu ainsi donner lieu à un micro-monde si riche et criant de réalisme.
J'ai quand même regretté à deux ou trois reprises quelques longueurs qui éraillaient un peu à mon sens le suspense et le rythme. Mais rien de rédhibitoire.
Un élément essentiel de l'aventure est le système de combat. Car ça fight pas mal en plus, surtout pour l'humain.
C'est le système Défis Fantastiques assorti de capacités spéciales ou pouvoirs que l'on va pouvoir déclencher à chaque assaut et modifier en conséquence la résolution. Cela vaut pour nos deux héros mais aussi pour tous les adversaires! Et c'est là que je suis resté le plus sur ma faim. Que la sauce n'a pas trop pris pour moi.
C'est admirablement mis en page : clarté des explications, encarts, mini-dessins. Chaque pouvoir est différent, c'est excitant. Mais une fois dans le bain, j'ai trouvé ça un peu complexe. Enfin non, plutôt lourd à gérer. Limite usine à gaz alors que dans le texte ce n'est pourtant pas bien compliqué!
Je crois que ça vient du système Défis Fantastiques. Il est simple mais exige de nombreux lancers de dés. Les combats peuvent parfois être longs. Alors si l'on y ajoute des règles et options tactiques différentes à chaque round, la baston perd encore plus en rythme.
M'est avis que ces options martiales bien intéressantes et visuellement agréables seraient très à leur avantage dans un autre système, plus léger, plus fluide. Dans du Dragon d'Or par exemple. D'ailleurs, n'est-ce pas ce que tu avais fait pour Ad Nauseam il me semble? Et ça marchait alors rudement bien.
Si cette aventure ne m'a pas conquis, elle est quand même franchement curieuse et intéressante pour quelqu'un d'habitué aux LDVELH. Nouveau concept, atmosphère unique, illustrations de Koa réussies pour représenter les bêbêtes. Dommage que le jeu ne soit pas trop satisfaisant pour ces deux raisons (pas de système solo, combats un peu lourds).