LDVH/AVH : Héros prédéfini ou anonyme ?

Sur une suggestion de l'ami Mark Twang, j'ouvre un sujet sur cette question.

Appréciez-vous de devoir incarner, dès le départ, un certain type de héros, de personnage ? Un personnage qui a un nom, qui est illustré dans le bouquin comme Loulou ou le Prêtre Jean, qui a déjà des caractéristiques, des compétences particulières, un passé, une histoire... Cela vous gêne-t-il pour vous identifier à lui (car à la base, le héros, c'est VOUS) ?

Ou préférez-vous incarner un héros anonyme, neutre, sans description physique ou caractéristique particulière afin d'éventuellement mieux vous l'approprier ?

Pour les auteurs d'AVH, votre point de vue en tant qu'auteur est bienvenu.

Ah, j'ai ouvert mon propre sujet... mais les deux ne se recoupent finalement pas. Dans le mien, j'aborde la question des mécaniques à mettre en œuvre. Dans le tien, on va parler de nos appréciations des différents systèmes. Ça se tient !

J'avoue que je suis du genre à aimer les Rolling Stones ET les Beatles, Blur ET Oasis. Si le gameplay est agréable, si le scénario est prenant, je suis ravi de varier les expériences de jeu.

Le héros prédéfini pour moi, c'est très casse-gueule.

J'ai beaucoup aimé Loup Solitaire au début, je m'identifiais assez à ce jeune homme placé par les évènements devant un destin extraordinaire. Et puis, les disciplines, l'ordre du Kaï, je trouvais ça original, attrayant. On va dire que ça a duré tout le premier cycle. Après, le côté "chevaleresque" du personnage a commencé à me gonfler progressivement... J'ai mal pris également que le physique de LS soit imposé, qu'il soit illustré. Désolé mais là, c'est pas moi. Très vite, j'ai vu LS en spectateur, comme un personnage extérieur.

Les Messagers du Temps, série que j'apprécie beaucoup, m'a un peu rebuté au début, j'accrochais pas trop à cette histoire de Royaume du Temps, mais bon... Par contre, dans le dernier opus, mon préféré, le côté moralisateur du héros sur la cupidité et l'individualisme des hommes du XXème siècle m'a gavé.

Curieusement, j'ai aimé incarner le Prêtre Jean, chose stupéfiante pour moi, athée et volontiers anticlérical. Mais le personnage reste assez atypique, original et le côté religieux est quasiment absent, excepté le pouvoir de conversion que j'ai complètement occulté dès le début.

Incarner un salaud (aseptisé quand-même) dans Défis sanglants sur l'océan m'a beaucoup plus, pouvoir choisir mon employeur dans Le Marais aux Scorpions aussi.

Mais de manière générale, je reste sur le héros anonyme, non décrit physiquement (le gnome du second volume de Défis et Sortilèges, heu non, désolé mais là...), neutre au maximum. Pourquoi ? Parce que dans ce cas, je peux m'identifier à lui, vraiment croire que c'est moi, c'est là le but d'une histoire dont VOUS êtes le héros.
Après, ça reste du cas par cas. Je n'ai jamais pu m'identifier au grand blond à cheveux longs qu'est LS mais incarner une femme dans certains LDVH ne m'a pas gêné. Tout dépend du personnage qu'on m'impose. Ayant l'esprit large, incarner une femme, un héros noir ou asiatique, "un salaud" genre pirate ou voleur ne me dérange pas. Je dirais que le pire, c'est d'imposer une description physique du personnage, de l'illustrer ou de lui donner un nom. A partir de là, ce n'est plus moi, c'est quelqu'un d'extérieur.

Et pourtant, malgré une expérience de jeu très limitée et un système de combat abominable, j'ai adoré Loup*Ardent.

Jamais accroché avec ce personnage, abandonné très vite...

Donc, c'est bien sur la question de la définition du personnage que cela se joue.
On peut avoir plaisir à un incarner un perso prédéfini s'il est intéressant et évolue de manière cohérente.

Pour moi, oui. Si le personnage proposé me plaît, correspond à mon éthique, à ma personnalité, ça peut marcher.
Mais sinon, c'est irrémédiablement foutu, il n'y aura aucune identification de ma part.

Un risque calculé en somme. Il en va de la littérature comme des gens : on ne peut pas plaire à tout le monde ^^

Voyageur Solitaire a écrit:

Appréciez-vous de devoir incarner, dès le départ, un certain type de héros, de personnage ? Un personnage qui a un nom, qui est illustré dans le bouquin comme Loulou ou le Prêtre Jean, qui a déjà des caractéristiques, des compétences particulières, un passé, une histoire... Cela vous gêne-t-il pour vous identifier à lui (car à la base, le héros, c'est VOUS) ?

Ou préférez-vous incarner un héros anonyme, neutre, sans description physique ou caractéristique particulière afin d'éventuellement mieux vous l'approprier ?

A noter que ces deux catégories ne sont pas hermétiquement distinctes l'une de l'autre. Il y a des héros qui portent un nom sans avoir pour autant de passé et de caractéristiques fortement définis (Pip, par exemple). Il y a aussi des héros anonymes mais qui ont un passé bien défini (par exemple dans les DF de Hand, dans certains des Dragons d'Or...).

Personnellement, je pense qu'un héros réellement neutre n'est pas possible. Certes, les héros de LDVH comme "Le Sorcier de la Montagne de Feu", "La Citadelle du Chaos" ou "Le Labyrinthe de la Mort" sont extrêmement lisses. Mais ils ont des motivations, des buts et des compétences ; par ailleurs, les options offertes au fil de l'aventure (et celles qui ne sont pas offertes) contribuent à les détailler en révélant les actions dont ils sont capables et celles dont ils ne sont pas capables.

Personnellement je préfère un personnage totalement neutre, sans description, sans caractère précis. Ce qui serait pour moi un frein à l'identification du personnage, et l'immersion serait alors difficile. A l'inverse comme dans un labyrinthe de la mort ou un L'Ile du roi lézard par exemple le personnage est neutre, c'est nous et on s'identifie alors totalement au héros.

C'est pour ça que j'ai souvent du mal avec Loup Solitaire tant le personnage est trop défini, avec un physique, un passé et une personnalité. J'ai toujours eu du mal à m'identifier au personnage. Je préfère le coté neutre de la plupart des DF.

Hé, ça tombe en plein dans une de mes approche de la conf' que je prépare. Merci d'voir ouvert ce sujet VS (-:

À titre personnel c'est aussi les deux. En fait, je vois plusieurs choses dans ce phénomène :

• en littérature « linéaire », on a souvent besoin d'avoir un héros caractérisé ; pour que l'histoire soit vraisemblable, il faut que l'on ait sous les yeux un personnage ayant une épaisseur, donc des caractéristiques physiques, sociales, morales… définies ; il serait même difficile de s'identifier à un personnage sans épaisseur ; ça peut être d'ailleurs l'occasion d'un « jeu » de la part de l'auteur, par exemple dans Ça de Stephen King, on apprend au milieu du 2e tome qu'un personnage est noir ce qui invite à s'interroger sur nos propres conceptions (pourquoi est-ce qu'on s'imagine systématiquement qu'un héros est blanc quand on ne donne aucune indication ?) ;
  
• dans les livres-jeux, toute une partie de l'histoire se passe dans la tête du lecteur-joueur ; la phrase « rendez-vous au 69 » n'est pas vraiment du texte mais plutôt du paratexte et le lecteur-joueur rempli le vide qu'elle cache, comme par exemple « Mmmm, la route directe est tentante mais la passage par le défilé ne me dit rien qui vaille, je vais plutôt faire le détour » ; en un sens, le fait de proposer un choix remplace l'exposition des pensées du personnage (la voix intérieure) ; après, il y a une dimension purement ludique qui est à l'opposé du vraisemblable (donc de l'identification du lecteur-joueur au héros), « la dernière fois je suis allé à gauche et je suis tombé dans une fosse ; allez, je tente à droite » ; arf, rien n'est simple.
  

En ce qui me concerne, je peux apprécier les deux situations en théorie.
En pratique cependant, les contraintes du support et de la réalité font que j'ai généralement légèrement tendance à préférer les personnages prédéfinis.
Pourquoi ?

Le personnage "neutre" permet certes une meilleure appropriation. Cependant, cet aspect neutre cause souvent également une tendance vers le "lisse", "fade" : si on ne peut pas déterminer un caractère, il est difficile d'avoir de la personnalité.
De plus, en essayant de pousser le lecteur vers un "c'est TOI qui es le personnage", on prend le risque de rendre plus visible le moindre manque de choix. Je peux tout à fait comprendre et accepter que Loup Solitaire le Preux ne va pas égorger de sang froid la sentinelle, donc si l'option n'est pas proposé ça ne me gène pas (vu que je joue LS, pas moi-même). En revanche, si je suis Akka La Raclure, mercenaire sans état d'âme, et que je me vois dire par le texte "vous combattez à la loyale", je vais être irrité (promesse de "jouer moi-même" rompue).


Quant au personnage prédéfini, le risque principal n'est pas vraiment de limiter l'immersion (pas pour moi en tous cas : je n'ai pas de problème particulier à jouer un personnage qui n'est pas "moi", dans certaines limites), mais plutôt d'avoir un personnage qui déplaît activement au lecteur.

En gros le risque c'est : "trop fade vs déplaisant". La possibilité de se dire "c'est moi" n'est qu'assez secondaire.

Je partage entièrement ton ressenti !
La notion de rupture du pacte de lecture est très importante. Ne pas promettre quelque chose qu'on ne peut pas tenir, ne pas changer la donne en cours de lecture sans que cela soit pleinement justifié.

Akka a écrit:

En revanche, si je suis Akka La Raclure, mercenaire sans état d'âme, et que je me vois dire par le texte "vous combattez à la loyale", je vais être irrité (promesse de "jouer moi-même" rompue).

Je note, je note *scritch scritch*.

Ça sonne bien Akka la Raclure. On peut le jouer dans ta prochaine AVH?

Fitz a écrit:

Ça sonne bien Akka la Raclure. On peut le jouer dans ta prochaine AVH?

Maintenant que t'en parles, vu qu'on jouera un rôle vaguement équivalent à un mercenaire (consultant en sécurité avec un passé dans les forces militaires) et que le concept entier de l'AVH sera les décisions à prendre basées sur le fil rouge de l'histoire... c'est fort probable

(ceci dit, il sera probablement beaucoup trop "professionnel" pour être juste un soudard dans ce genre, donc peut-être pas en fait :p)

Je me permets de déterrer ce fil car, comme je l'évoquais dans ma présentation, il concerne un sujet que j'ai moi-même souvent ressassé, dernièrement.

Oversea a écrit:

Personnellement, je pense qu'un héros réellement neutre n'est pas possible. Certes, les héros de LDVH comme "Le Sorcier de la Montagne de Feu", "La Citadelle du Chaos" ou "Le Labyrinthe de la Mort" sont extrêmement lisses. Mais ils ont des motivations, des buts et des compétences ; par ailleurs, les options offertes au fil de l'aventure (et celles qui ne sont pas offertes) contribuent à les détailler en révélant les actions dont ils sont capables et celles dont ils ne sont pas capables.

Je suis plutôt d'accord avec Oversea : il me semble en effet qu'il est impossible de mettre en scène un personnage tout à fait indéterminé. En ce qui concerne les descriptions de personnage, j'ai l'habitude de réfléchir selon le schéma suivant, que j'employais il y a quelques années, lorsque j'enseignais le français au lycée.



Bien sûr, c'est quelque chose d'un peu théorique et artificiel, mais je trouve ce schéma utile, au sens où il rappelle qu'un personnage ne se définit pas que par ses traits physiques ou de caractère. Lorsqu'on faisait l'exercice de rédiger un portrait, sur base d'un extrait littéraire, on se rendait toujours compte avec mes élèves que, si les traits physiques et psychologiques sont souvent indiqués noir sur blanc dans les descriptions, les traits sociaux et éthiques sont davantage à déduire des segments narratifs du texte.

Si je fais passer le personnage de mes livres-jeux au travers de cette grille d'analyse, voici à peu près ce que j'obtiens :

Description physique :
Le protagoniste n'est pas à proprement décrit, mais on peut tout de même relever des indications de ce genre, dispersées dans la narration : il n'est pas large de carrure (car j'indique s'il peut ou non se faufiler dans une conduite d'évacuation), il est assez malingre (indice placé sciemment pour que le lecteur soit en mesure de déduire que l'option qui lui est offerte de régler un conflit de manière musclée n'est pas des plus indiquées), vite essoufflé (à nouveau, car il est utile de laisser entendre au lecteur ce qu'il est en mesure d'entreprendre ou pas)…

Description psychologique :
Globalement, mon personnage est assez candide car cela permet de diriger le jeu et de faire avancer l'intrigue en incitant le lecteur à aller dans la direction de l'histoire, à poser des questions… Pour la même raison, je le décris régulièrement comme ambitieux, volontaire.
L'atmosphère que j'essaie de poser (globalement sordide) m'amène aussi à le doter parfois d'accents dépressifs. Puisque la focalisation de l'histoire se fait à travers lui, c'est son regard qui est décrit et dépend donc directement du décor qu'on veut poser.

Description sociale :
Quoique mon personnage est anonyme, la description sociale me parait absolument incontournable sitôt qu'il s'agit de poser un enjeu. Il s'agit d'un sorcier de bas étage, qui évolue dans un milieu interlope au sein duquel il est déterminé à gravir des échelons. Cela se marque dans la description de son appartement, de ce qu'il mange, etc.
Si j'en avais fait un simple quidam, il m'aurait tout simplement été impossible de justifier qu'il entreprenne l'aventure, qui apparaitrait trop dangereuse à n'importe qui n'étant pas dans cette situation précise. Par le simple fait d'écrire ses interactions avec les différents PNJ, on lui assigne aussi un statut, une certaine place dans la société. Je ne vois pas du tout comment rendre sa position absolument neutre, de ce point de vue…

Description éthique :
Même chose : le simple fait de poser un enjeu à l'aventure me semble avoir une incidence sur le portrait éthique du personnage. Le mien, par exemple, est volontiers mercantile. Pour des raisons de dramaturgie, puisqu'il évolue dans un milieu occulte, je le fais souvent pourchasser par la police : cela entraine aussitôt des considérations éthiques. Même chose lorsque l'intrigue l'amène à commettre une effraction…

J'ignore si ces éléments sont suffisants pour rebuter un lecteur, mais je comprendrais très bien qu'ils freinent l'identification, dans le cas où celui-ci se trouve dans une position radicalement différente…

Voilà, je ne sais pas si c'était clair (et je ne sais assurément pas si c'était utile), mais c'est l'état de mes réflexions sur ce sujet des plus intéressants.