Voici donc le tome 4 de la série "Messagers du Temps", j'ai nommé :
Objectif : Apocalypse ! Un titre que je n'ai longtemps connu que par sa couverture, aperçue dans un catalogue Gallimard, et qui m'a fait rêver. Elle tranche avec toutes les autres : ce titre quasi journalistique ! Ce Golden Gate apocalyptique, si loin de nos Forêts de la Malédiction, de nos Montagnes du Sorcier !...
Le livre-jeu est épais. On le feuillette : les illustrations débordent d'engins roulants et pétaradants. Les paragraphes sont looongs, beaucoup ont plusieurs pages. Pourtant l'intro, malgré son habituelle image étalée sur une 1 page et ½ mariée au texte, est plus réduite qu'à l'accoutumé...
L'INTRODUCTIONNotre commanditaire (et maman), la reine Chronalia, qui depuis le tome 1 ponctue ses discours de « Vous n'êtes pas encore prêts... » ou « C'est un secret que seule une reine doit connaître... », nous révèle ENFIN un de ses mystères. La raison pour laquelle elle abdique le trône d'éternité ? Non... Elle se contente de nous montrer une grotte où des appareils indiquent par des courbes et couleurs... les émotions collectives des humains. Ah. Mouais. On espérait quelque chose de plus renversant.
Songeons plutôt à un autre mystère. Ça ne me frappe que maintenant, mais le visage de la reine Chronalia me paraît avoir quelque ressemblance avec celui de l'illustratrice, Nathaële Vogel. A vous d'en juger. Les inscriptions sur la console qu'on lit à côté de son coude, page 32, forment les initiales NJ ou peut-être NV : une signature ?
Je passe rapidement sur les règles propres au XXème siècle : les coups de feu sont plus mortels que ceux des pistolets à silex et des six-coups des tomes précédents. Être touché trois fois, ou à la tête, ou au cœur, c'est la mort. On fera d'ailleurs l'expérience dans ce volume d'une mortalité bien plus importante que d'habitude, avec de nombreux PFA sur un échec aux dés.
Puis
zap, l'habituelle Télégéosphère nous emporte vers d'autre lieux et d'autres temps...
LE VOYAGE DU HÉROS / DE L'HÉROÏNEAutre évidence qui ne me saute aux yeux qu'au tome 4 : notre personnage débute chaque aventure dans une caverne... Comme le héros du « monomythe » ou « voyage du héros », ce schéma-type des aventures, repris à la virgule près par tous les scénaristes d'Hollywood quelle que soit l'histoire racontée. Le nom de l'inventeur du monomythe ?
Joseph Campbell. A comparer avec le pseudo sur la couverture :
James Campbell...Pour résumer, l'intrigue sera celle d'un James Bond classique. Remplacez le tremblement de terre provoqué à San Francisco dans
Dangereusement vôtre (1985) par un déluge artificiel, et vous obtenez
Objectif : Apocalypse. Le méchant est le bien nommé Peter Medduzz, savant à qui le pouvoir de la science a tourné la tête. Tête qui semble farcie d'idées religieuses extrémistes, puisque notre savant agit de concert avec un télévangéliste, le Révérend Montrainer. Lassé d'attendre que Dieu foudroie les infidèles, il a décidé de les noyer lui-même :
- paragraphe 109 a écrit:
- San Francisco est devenue la nouvelle Sodome et San Francisco connaîtra bientôt l'Apocalypse !
Le texte ne le précise pas mais en effet, la ville était bien connue pour sa communauté gay, comme on peut le lire dans les
Chroniques de San Francisco.
Notre allié sera un contact de la Messagère du Temps Valiocka, capturée par le méchant Medduzz. C'est un journaliste du
San Francisco Herald and Examiner (nom-valise des deux grands journaux de la ville) qui va nous aider. Il se nomme... John Bob de Golf. Oui, de Golf comme Degolf, le traducteur Gallimard qui a travaillé en 1986 sur
La Planète Rebelle, et sur d'autres depuis... Un garçon décrit comme cynique, attaché au scoop qui le rendra riche - ou au moins lui permettra de négocier une augmentation. Entre deux verres de scotch qu'il consomme en abondance, il fait appel à l'un de ses collègues...
- paragraphe 117 a écrit:
- « Derrière un bureau est assis un personnage joufflu dont la moue furibonde a quelque chose de réfrigérant. Levant le nez de sa machine à écrire, il vous observe d'un regard noir et inquisiteur. [...]
- De Golf ! Ça m'aurait étonné ! rugit Jeff Nardem. Impossible d'avoir la paix cinq minutes dans ce repère d'analphabètes !
scan complet de ce portrait, ici.Derrière ce nom-anagramme se cache un caméo. Vous l'avez ?
Jeff Nardem : J.F. Ménard, le traducteur et écrivain, auteur sous pseudo des "Messagers du Temps". Il s'est caricaturé avec humour dans son propre livre !
- paragraphe 117 a écrit:
- ...ce n'est pas le moment de voyager [Jeff] : tu as deux ans de retard dans ton travail !
Exactement ce que l'illustratrice Nathaële Vogel remarquait à propos de la série "Les Messagers du Temps" dans une interview au fanzine
Le Marteau et l'enclume... (n°1, printemps-été 2019).
J'arrête là avec les jeux de clins d'œil, j'aurais pu ajouter l'allusion à l'attentat du Rainbow Warrior en 1985 (page 348)... La « Maynard [Ménard] Investment Bank »... L'hôtel Galmard (Gallimard)... La tenue mal choisie qui fait tiquer les gens, comme dans
Retour vers le futur (1985)... Le verre renversé sur les cristaux, provoquant une petite catastrophe comme dans le film
Gremlins (1985)... Etc ! Parlons plutôt des
IMPRESSIONS DE JEULe parcours est mené tambour battant, au rythme d'un film d'action. En parlant d'action, les courses-poursuites en voiture, camion et moto seront fréquentes, avec même un final opposant un hélico à un navire dans la Baie de San Francisco !
Les actions se résoudront la plupart du temps par des jets de dés : un double est une réussite critique, un chiffre pair une réussite, un impair un échec. Le système des
Coups d'Audace conçu pour gérer ces hasards ne sert qu'une seule fois, au
213. De même, les Compétences ne servent presque pas, à part celles d'ARMURIER, et PRESTIDIGITATEUR pour jouer les pickpockets.
Malgré l'avertissement de la reine Chronalia et les remarques pacifistes qui parsèment le récit, on se battra souvent, parfois au pistolet, parfois à mains nues. John Bob de Golf est par chance champion d'arts martiaux, en plus d'être pilote de moto et... d'hélico !
Les scènes distinctes entre Prince / Princesse du Temps sont nombreuses, mais souvent la différence tient juste à une ou deux lignes de dialogue sans changement dans les situations. Exit le comique de répétition sur la dénonciation des remarques sexistes, dans les tomes précédents. A peine la Princesse joue-t-elle une fois la fille forte :
- paragraphe 36 a écrit:
- - C'est moi qui vous emmène [dîner], rectifiez-vous. D'abord parce que vous n'avez plus de moto et que j'ai une voiture, ensuite parce quy'il n'y a pas de raison pour que ce soient toujours les hommes qui prennent l'initiative. Nous irons dans le restaurant que je choisirai !
Ceci dit, la conclusion de l'histoire où Valiocka tombe amoureuse du journaliste menteur et peu embarrassé de scrupules, contredit un peu cette intention. La princesse amoureuse du bad boy, un peu trop cliché de roman Harlequin.
QUESTION DE VITESSE J'ai déjà parlé de l'aspect course-poursuite avec peu de temps morts. Mais cette vitesse, comment transparaît-elle ?
Des véhicules rapides, on en a plein les illustrations ! le style de N. Vogel est toujours aussi dynamique, suggérant le mouvement. Bâtiments, camion ou hélico sont représentés avec art ; le trait est moins assuré pour les voitures, peut-être pas le domaine préféré de notre talentueuse illustratrice. On voit moins de personnages que d'habitude sur les illus, car elles ont été réalisés avant que le texte soit écrit, d'après des directives et un projet d'intrigue (voir l'interview déjà citée). A ce moment l'auteur n'avait sans doute pas encore une idée arrêtée sur ses héros et leur rôle.
Des raccourcis dans l'histoire : un trajet rapide en hélico de Kimsquit (Canada) à San Francisco entre deux paragraphes, alors qu'il y presque 2000km entre les deux. Une étonnante fratrie de quintuplés muets, qui apparait aux côtés de Peter Medduzz et... ne sert presque à rien.
Une deadline d'écriture ! On sent que la machine à écrire chauffait, qu'il n'y a pas eu de relecture à froid. Ainsi, la révélation de Medduzz dans son monologue de méchant... qui horrifie des héros pourtant parfaitement au courant.
De même, les remarques moralisatrices à propos de l'argent-roi aux USA reviennent très, TROP souvent.
Enfin, les motivations de John Bob de Golf, personnage passionnant, deviennent floues sur la fin : quand notre frère / notre sœur réapparaît, le récit bafouille un peu pour justifier les actions du journaliste, mais cela soulève plus de questions que ça n'en résout.
Peut-être la plus superbe illu double page de tous les livres-jeu Gallimard,
à égalité avec celle de L'Antre des Dragons.
Et pour un PFA ! BILANLe conclusion d'une saga enthousiasmante et assez unique. C'est dommage qu'elle ne soit pas rééditée et qu'on doive la lire dans des éditions devenues rares et chères, qui craquent facilement (mon exemplaire est tombé en morceaux durant ma lecture). Rééditée avec une petite remise à niveau pour mieux tenir compte des Compétences et des Coups d'Audace, peut-être ?...
Ma critique du tome 1 Ma critique du tome 2 Ma critique du tome 3Note : 666 sur 20 16/20