Vous êtes confortablement installé, ami Lecteur ? Personne ne rôde aux fenêtres, une guirlande d’ail est attachée à chaque point d’entrée de votre demeure ? Fort bien. Car avec le Château de Dracula, Brennan nous invite dans une minisérie (ô combien mini : juste deux volumes !) qui viserait, on serait amené à le croire, à nous faire dresser les cheveux sur la tête et refroidir le sang dans nos veines.
Et Brennan, niveau ambiance, sait y faire, le bougre. Mais je suppose qu’à un point donné on ne peut pas se refaire : aussi glauque la demeure des Carpates peut-elle être, notre bonhomme est évidemment toujours habité par la même verve tirant sur l’absurde jusqu’à rupture de la corde.
Et tout cela dans un modèle unique, qui, le livre s’en vante, nous propose deux aventures pour le prix d’une : une en tant que Harker, qui se retrouve combinée avec Van Hellsing pour former un destructeur de vampires, et une autre, en tant que sa proie, l’illustre et machiavélique comte Dracula.
Un concept alléchant, sauf qu’il faut naturellement compter avec la personnalité quelque peu fantaisiste de J.H., qui, une fois de plus, habille l’histoire qu’il propose avec des règles se prenant les pieds dans des chausse-trappes plus d’une fois.
Le résultat, contrairement à un Loup Ardent* indigeste, vaut-il tout de même le détour ? Enfilez une élégante cape noire ou saisissez un pieux en pommier, allons le vérifier au sein des pierres grises et sinistres du château…Un seul joueur pour double jeu
Il convient en effet d’examiner en premier cette structuration atypique, où contrairement à certains LDVELH nous donnant la possibilité d’incarner des personnages différents pour une même aventure, avec
Epouvante !, le choix détermine entièrement l’histoire que vous allez vivre : on se rend bien compte que si le lieu reste le même, s’aventurer solitairement dans l’antre de la Bête en tant que Harker ou bien débusquer l’insolent Van Helsing (étrangement, dans l’autre histoire, vous tuez Harker et c’est l’autre personnage bien connu du roman qui prend sa place) en tant que Dracula n’a pas les mêmes enjeux, ni même, si j’ose dire, la même saveur.
Les lieux rencontrés seront globalement les mêmes, d’ailleurs décrits dans une section à part du livre, ce qui permet un gain de place appréciable (au coût de devoir retourner en arrière, mais bon), toutefois, la dimension sera diamétralement différente.
En effet, si la forteresse transylvanienne est comme il se doit truffée de pièges et d’habitants guère commodes pour barrer la route de Harker, tandis que si vous contrôlez Dracula, celui-ci a dû faire une sacrée sieste, car Van Helsing aura eu le temps de transformer votre demeure ancestrale en traquenard géant, sans parler de ses pouvoir de thaumaturge grâce auxquels il a créé une série de pièces destinées à vous faire devenir mort-mort !
Et pour ne pas se mélanger les pinceaux, Harker a les paragraphes pairs et son adversaire, les paragraphes impairs, chacun pour une aventure qui pourrait paraître plutôt brève puisque pesant toutes deux environ 106 paragraphes.
Mais Brennan a organisé cela de manière à ce que, de toute façon, vous deviez dans un cas comme dans l’autre passer par la grande majorité des paragraphes proposés ! Avec Harker, vous allez tenter de trouver le bon chemin pour pénétrer dans le château proprement dit et trouver le passage jusqu’à la crypte de
Dracula, tandis qu’avec celui-ci, vous serez forcé de passer au peigne fin votre propre logis afin de trouver douze clés numérotées.
C’est une bonne idée pour tirer tout le jus ludonarratif possible du livre, par contre, c’est un frein à la rejouabilité : si dans les deux cas il n’y a pas d’ordre précis pour progresser (un gros plus pour la non-linéarité) il n’y a pas non plus de chemins qui nous soient barrés ou de pistes transverses, en une lecture, on aura tout vu et tout fait, ou presque si complètement que cela revient au même.
Et il y a un élément qui un bon potentiel pour rendre une relecture moins agréable…
Afin de comprendre pourquoi, il nous faut examiner les règles concoctées cette fois-ci par J.H. !
Ecoutez-les donc, ces enfants de la nuit. N’est-ce pas la plus belle des musiques ?
Epouvante ! se place entre les règles éléphantesques de Loup Ardent* et celles bien plus accessibles de la
Quête du Graal. Ici, outre les PV (100 en l’occurrence) habituels, chaque personnage est doté de 5 caractéristiques : la force, le courage, l’habileté, la rapidité et le PSI ; toutes calculées en lançant un D6.
On pourrait penser qu’un seul dé offre une variance bien trop grande, mais cela est résolu par le fait que les caractéristiques, sauf le PSI, fonctionnent par paire.
Rapidité et courage forment ce qu’on pourrait appeler le bonus d’initiative : en rajoutant leur total au lancé de 2D6 et en faisant de même pour votre adversaire, le plus haut score déterminera celui qui frappera en premier.
L’assurance du premier coup est un avantage à ne pas négliger, mais à tout prendre, il est encore plus important d’avoir un solide « facteur de dégâts aggravés » : force et habileté, dont le total est ajouté à tout point au-dessus de 6 que vous obtenez en lançant 2D6, en-dessous, votre coup aura raté- la même chose valant naturellement pour vos ennemis.
Croyez-moi, même avoir +10 n’est pas un luxe quel que soit le personnage que vous incarnez, car les mauvaises rencontres sont légion, que ce soit des morts-vivants pour Harker ou d’horrifiques créatures telles que les chérubins pour Dracula.
Vous allez vous battre, encore et encore, et c’est là que de devoir faire une sorte de jet d’initiative à chaque combat pourra rendre les choses quelque peu fastidieuses.
Comme tout un chacun j’aime à me représenter les affrontements sur la toile de mon imagination, à figurer les coups adverses manqués comme une esquive habile de mon personnage, à transformer dans mon esprit les lancers de dés victorieux en blessures les plus diverses, néanmoins, je pense en toute sincérité qu’il y a un peu trop de combats dans des aventures qui sont déjà rendues compactes par la force des choses, vous forçant à ignorer les signes évidents de danger pour être sûr de n’avoir rien raté.
C’est particulièrement flagrant du côté de Dracula qui joue à la Carte aux Clés et ne peut en louper une seule, sous peine de ne pouvoir ouvrir la porte menant à Van Helsing- et les douze pièces contiennent quasiment à chaque fois un combat supplémentaire dans un pattern répétitif, ce qui peut franchement devenir lassant.
Au-delà de ça, la difficulté n’est pour autant pas insurmontable, encore que là il y a un grand fossé entre les deux protagonistes, sur deux points majeurs :
1) Guérison. Harker récupère 3 PV en passant d’un paragraphe à un autre, tandis que le Comte, étant mort-vivant, en perd 2. Rien n’indique qu’il faille que cela soit un nouveau paragraphe, ce qui laisse une faille à exploiter pour Harker et une bombe à retardement pour le vampire.
De plus, le clerc britannique peut avoir recours au traitement naturel en lançant 2D6 : 7 et plus, vous récupérez autant de PV, 6 et moins, vous en perdez autant, cela a au moins le mérite d’être plus pratique que le Temps du Rêve- là aussi, aucune limitation !
Enfin, Harker pourra trouver de puissants médicaments alors que Dracula devra surtout compter sur les combats pour régénérer : un 6 ou un 12 signifiera en effet qu’il aspire le sang de sa victime et récupère un montant égal au niveau des PV de l’ennemi à ce moment-là.
Donc non seulement la chance d’obtenir ce résultat est plutôt faible (16% à chaque lancé de dés), cela peut régulièrement rapporter peu où vous rendre plus de santé que vous n’en avez besoin !
Un clair déséquilibre en faveur du personnage dont le cœur bat encore…
2) Pouvoirs PSI. Pour Harker, chaque utilisation d’un pouvoir coûte 1 point de PSI, et pour les deux, si aucun point n’est disponible, utiliser un pouvoir coûte 20 points de vie.
Le clerc peut, au choix, avoir 5 points en réduction de dégâts pendant un combat, ou au contraire 5 points de dommage en plus. L’empalement, quant à lui, donne 16% de chance de détruire instantanément un vampire… Et le point est perdu que cela fonctionne ou non ! Un autre signe du manque de sens pratique de Brennan.
Dracula, à nouveau, reçoit la courte paille. Le pouvoir téléportation est critique : il permet de retourner à la crypte pour regagner tous vos points de vie, ce dont vous aurez bien besoin, croyez-moi, et dépenser un point de PSI pour cela est coûteux- avant de trouver le passage secret (nous reviendrons là-dessus).
Le pouvoir de domination des petits animaux, par contre, est risible. Il faut un point pour pacifier un tel animal, plus un autre point pour le contrôler mentalement, et encore l’animal aura à chaque combat une chance de se retourner contre vous !
La transmutation, pour finir, vous métamorphose en chauve-souris, forçant les ennemis à faire 8 ou plus pour vous atteindre (ce qui représente encore 42% de chances de vous toucher), en contrepartie, votre force est réduite à 1… Et il faut dépenser un autre point de PSI pour reprendre forme normale ! Remarquez, si le dé vous a affublé d’une force ridicule, autant rester tout le temps sous cette forme.
Pour compenser, Dracula aura l’occasion de recruter quelques alliés, dont ce bon vieil Igor, ce qui ne sera pas de trop, car pour un peu, c’est le mort-vivant qui semblerait plus frêle que l’humain normal !
Car la vie, finalement, c’est juste attendre quelque chose d’autre que ce que l’on a
Pour le reste, on retrouvera deux marottes chères au créateur de la QdG : les messages codés, ayant ici un impact relativement négligeable mais offrant un divertissement alternatif, et les passages secrets.
L’élément paraît tout à fait cohérent dans un vieux château, son implantation, elle, est un peu plus sujette à caution. Le texte ne vous donne en effet aucun indice quant à la possible présence de tels passages : à vous de tirer les dés, d’ajouter le modificateur lié à votre personnage et d’espérer obtenir 10,11 ou 12.
Par acquit de conscience, vous essaierez probablement chaque fois que vous entrez dans une nouvelle
section, souvent il n’y aura rien, même lorsqu’il y a un passage, trop fréquemment, ce n’est qu’une sorte de raccourci pas toujours très utile.
Il aurait peut-être mieux valu réduire le nombre de passages et nécessiter par exemple des énigmes pour
les dénicher : devoir à chaque fois vérifier leur présence, en plus de tenir compte de la régénération/perte de PV, est une lourdeur supplémentaire pas forcément judicieuse.
Reste bien entendu le gros morceau, la partie où Brennan excelle : l’histoire. Ou plutôt, son style narratif, car l’histoire se base évidemment sur l’ouvrage de Stocker en la remaniant pour la simplifier dans le cadre obtenu.
Et là, comme d’habitude, on se régale, que l’on incarne Harker ou sa cible. Là le clerc devra se battre contre le fantôme de l’Opéra, ici le Comte devra survivre à l’assaut furieux d’un commando de gnomes de jardin, à tel paragraphe Harker commettra une énorme gaffe en annonçant joyeusement à la fille de Dracula qu’il veut tuer celui-ci, à tel autre, le vampire nous livrera sa recette ancestrale de soufflé au rat pour en croquer un- une excellente initiative, puisque ce dernier contenait une des précieuses clés numérotées !
Entre croque-mort joyeux fondant son parti dont il est le seul membre vivant, attaque de moisissure ou de pomme granny volante, graffitis fantaisistes dans les toilettes et moine fou en goguette, il n’y aura pas de quoi s’ennuyer, et au fond, on sourit plus que l’on n’est effrayé- sauf à craindre les quelques PFA injustes vous expédiant au 13 ou au 14, comme une porte qui mène dans le vide.
Le quatrième mur en filigranes aide à soutenir cette ambiance délectable :
Si vous ne saviez pas que c'est impossible, vous seriez prêt à jurer que le bruit venait de l'intérieur du cercueil. Mais qui donc serait assez fou pour enfermer quelqu'un dans un cercueil ? Vous tendez la main vers la clef de la dernière des trois serrures. Et vous hésitez.
Vous avez d'ailleurs fichtrement raison. Sincèrement, Harker, vous m'avez fait peur. J'ai craint que vous ne vous laissiez emporter par votre enthousiasme et que vous n'ouvriez cette bière sans réfléchir aux conséquences possibles.
Avec cette narration en italique accompagnant les paragraphes, toujours aussi vivante. On sent que l’auteur s’est vraiment amusé à écrire tout cela, et mécaniquement, le lecteur-joueur que nous sommes s’amuse également, quitte à lui pardonner ses lubies et oublis chroniques- serez-vous étonné d’apprendre que l’argent que possède Harker en début d’aventure ne servira jamais, pas plus que le pieu en bois de pommier qu’il peut fabriquer ?
Si vous avez un tant soit peu l’habitude de J.H., je pense que non !
Il faut reconnaître une qualité à Brennan : c’est, dans le petit monde des LDVELH, le maître de la diversité, expérimentant plusieurs formats, plusieurs tons et plusieurs ensembles de règles.
Avec Epouvante ! l’auteur détourne une œuvre bien connue pour notre divertissement avec un format qui, s’il est artificiellement compact, donne tout de même envie de vivre l’aventure des deux côtés.
On touche une sorte de point d’équilibre avec les règles, qui, si elles restent brouillonnes par certains côtés et désavantagent le maître des lieux, demeurent simples à comprendre.
Avec un peu moins de combats et encore un brin de loufoque en plus, on aurait obtenu une cuvée délectable, en l’occurrence, le Château de Dracula demeure une lecture agréable.
Bien plus que l’autre « double tome » de la minisérie…/
14/20