04- La galaxie tragique

Tout a été dit ou presque au sujet de cet ouvrage sur ce forum. Néanmoins, après l’avoir relu, je vous transmets ma synthèse.

Ce quatrième Défi Fantastique, issu celui-là de la plume de Steve Jackson, constitue la première incursion de la série dans le domaine de la science-fiction. Les règles s’en ressentent, avec des combats spatiaux et au phaseur (au pistolet-laser, quoi) et surtout la gestion de tout un équipage dont il convient de calculer les caractéristiques. (Chaque aventure commence donc par le jet de 24 D6.) Nous y jouons le rôle du commandant (terrien faut-il le préciser) d’un vaisseau cosmique, perdu dans un univers parallèle après avoir accidentellement traversé un trou noir.

Il ne s’agira donc ni de remporter une fortune, ni de sauver le monde (objectifs souvent cumulés dans les DF de fantasy), mais, dans l’esprit d’un « escape game », tout simplement de rentrer chez nous. Pour ce faire, il conviendra de recueillir une coordonnée spatiale et une coordonnée temporelle au cours de nos pérégrinations interplanétaires.

Avec ce postulat de base, la jouabilité hélas s’en ressent fâcheusement. L’aventure se résume à passer d’une planète à l’autre, à la fouiller en quelques paragraphes, à faire connaissance avec des extraterrestres succinctement décrits, avant de passer à la suivante. Comme de fausses coordonnées sont disséminées ici et là, sans qu’aucun indice ne permette de les distinguer, le ludolecteur, au cours de ses tentatives successives, quadrillera tout l’univers pour les retrouver, essaiera toutes les combinaisons possibles jusqu’à découvrir, évidemment au hasard (parmi les sept possibles) la bonne qui l’amènera au paragraphe de victoire.

Comme je l’avais déjà écrit, ici-même et il y a quelques années, nous retrouvons, sèchement transposé dans les étoiles, le principe passablement décousu du Sorcier de la Montagne de Feu : le labyrinthe devient une galaxie, les salles et leurs monstres improbables, des planètes (ou des stations spatiales) peuplées d’extra-terrestres improbables, et les clefs, des coordonnées spatio-temporelles, ouvrant non un coffre au trésor, mais une porte de sortie vers notre monde. Ajoutons que, dans les deux cas, les PNJ forment un conglomérat disparate plutôt qu’interconnecté, chacun semblant vivre en autarcie dans sa salle ou sur sa planète. (Bon, dans La Galaxie tragique, nous pouvons à deux reprises croiser le chemin d’un vaisseau ganzigite, et il arrive que les habitants d’une planète ne fassent brièvement allusion à une autre située en aval de notre progression.)

Et comme d’autres forumeurs l’ont très bien souligné, à mesure que l’on relit ce livre et qu’on évite autant que possible les planètes inintéressantes, les rencontres diminuent, les péripéties se raréfient, les combats s’espacent [sic]. A l’image des illustrations intérieures, l’aventure (d’ailleurs initialement plus courte d’une cinquantaine de paragraphes par rapport aux DF standards) en devient schématique, mesquine, étrécie, comme à peine esquissée. Toutes ces règles savamment élaborées, qui laissaient augurer une épopée interstellaire haute en couleur, des choix cruciaux à prendre, voire des PNJ détaillés, s’avèrent progressivement inutiles. D’ailleurs, mais est-ce encore nécessaire de dissimuler cette information sous « spoil » ?

L'aventure... :

Certes, on pourra pointer là un procédé louable de Steve Jackson, qui ne limite pas les conditions de victoire par des hautes caractéristiques, de la chance aux dés. A l’opposé de Livingstone, aucun indice indispensable au succès ne s’obtient suite à un combat difficile ou un « mat » (péripétie statistiquement létale).

Les trois seuls objets... :

Avec cet auteur, d’ailleurs, affronter un adversaire aux caractéristiques élevées indique généralement qu’on s’est fourvoyé, voire qu’on va mourir bientôt.

Dans cette veine... :

Mais enfin, pour répondre aux grincheux, on peut objecter qu’on peut également terminer le livre en prenant tous les risques possibles. Même si vous cernez le chemin optimal, rien ne vous empêche de quêter le grand frisson par le chemin des écoliers stellaires, en vous posant sur toutes les planètes rencontrées, en recherchant le danger inutile, en empruntant des voies de traverse sollicitant votre équipage et comportant des combats des trois genres, en risquant votre vie sans contrepartie par des jets de dé angoissants. (C’est ce que j’ai personnellement fait : j’ai établi le parcours le plus long et le plus dangereux possible, je me suis arrêté sur neuf planètes, une station spatiale, ai traversé un champ d’astéroïdes, n’ai évité aucun piège ni aucun combat, ai triomphalement surmonté chaque obstacle… pour finalement me faire bêtement dézinguer par les bambins gayatoliens. Rageant. Ces combats au phaseur, c'est du pile ou face.)

Ceci dit, tout n’est pas à jeter dans ce LDVELH, qui tire son épingle du jeu de par son background. (Ce qui à mon sens lui vaut la moyenne.) Aspect là encore précédemment souligné, beaucoup de planètes soulèvent en effet des interrogations démographiques, politiques, sociologiques, technologiques, propres aux années 80 et conférant à l’ouvrage une patine plaisamment « vintage ». (Sans parler des allusions très transparentes aux séries de l’époque, comme Star Trek ou Cosmos 1999, que je ne connais pas du tout.)

Voyons la mosaïque. Sur cette planète sans nom, perçue comme une terre promise, peuplée de colons attirés de partout, tout le monde est le bienvenu, les droits sont strictement égaux, personne ne commande et les décisions ne sont prises qu’à l’unanimité (d’où un chaos généralisé). Sur Trax, toute civilisation a disparu à cause d’un gaz hallucinogène. Sur Culematter, personne ne meurt et des Contrôleurs de Population sont chargés d’exterminer les individus en surnombre, qui se laissent faire, résignés. Sur Cliba, peuplée d’agriculteurs vivant comme au Moyen Age, un aventurier galactique utilise un équipement informatique de contrôle planétaire pour gérer le climat et se faire passer pour un dieu. Sur la planète minière Malini, on divertit les ouvriers en leur faisant assister à des Epreuves où des gladiateurs combattent à mort des robots tueurs (ou des oiseaux au bec tranchant comme un rasoir). La planète Macommon est promise à une fin prochaine, ses habitants essaient désespérément de la quitter. Sur Gayotol 6, les enfants exercent le pouvoir et en sont écartés à l’âge adulte, car sur cette planète on naît avec des facultés exceptionnelles avant de sombrer dans la sénilité. (Et sur Décamron, comme dans une mise en abyme de l’ensemble de l’œuvre, une expérience d’astrophysique se résume à un labyrinthe minimaliste dont on trouve la sortie au hasard.) Ce vaisseau écrasé et désert envoyant un SOS depuis une planète sans vie, ne fait-il pas penser à l’amorce d’Alien ? (Sauf que le danger qu’on en ramène s’avère moins redoutable.) Sans parler de la planète seulement recouverte de faune et de flore, de cette autre planète volcanique où le moindre faux pas vous bascule dans la lave, de cette encore autre planète magnétique brouillant les transmissions, de ces périlleux champs d’astéroïdes, de ces vaisseaux belliqueux, de ces stations spatiales plus ou moins hostiles. (Et cette planète recouverte d’eau, sans vie, serait-elle la résultante d’un réchauffement climatique ?)

Autant de thématiques prometteuses et intéressantes qui auraient mérité à ces planètes d’être approfondies, chacune pouvant faire l’objet d’un livre-jeu à part entière, voire de tout un roman de science-fiction. Alors, comme d’autres, je me plais à rêver de ce qu’aurait pu donner le potentiel sous-exploité de cette ébauche si elle avait été mieux travaillée, avec une gestion du temps, du moral de l’équipage, la possibilité de revenir en arrière, des descriptions plus fouillées, des PNJ plus charismatiques, des interactions entre les membres d’équipage, des dialogues plus élaborés, voire différentes manières de réussir. (Par exemple en découvrant une planète idyllique et en décidant d’y rester.) Tout comme Le Marais aux Scorpions, ce LDVELH appelle une suite dépassant largement son cadre étriqué. (Je loue donc l’initiative – même avortée – de Linflas.)