La critique
Choose your own adventure ?Dès son sous-titre, le livre se réclame de la tradition des CYOA (ou des Endless Quest), et cet héritage se retrouve bien entendu dans le gameplay proposé.
Ici donc, pas de hasard, aucun lancer de dés (ou presque, j'y reviendrai !). Chaque page est une section, et, sur les 108 pages de l'ouvrage, 88 sont consacrées au récit à proprement parler. Nous avons donc 88 sections à explorer.
Et en fait, c'est à peu près tout ce qui rapproche Into the Dungeon de, mettons, Return to Brookmere.
J'aurais davantage envie de rapprocher le titre de la série des
Destins de D.Morris et M.Smith.
Dès les premières lignes, le lecteur est invité à choisir un personnage parmi les quatre proposés, ou à en concevoir un lui même.
Notre personnage est défini par quatre caractéristiques qui fonctionnent un peu, une fois l'aventure lancée, à la manière des compétences des
Destins. Ces caractéristiques - classiques au demeurant : force, dextérité, charisme, intelligence - sont définies par un nombre allant de 1 à 6. A cela s'ajoute un pool de points de vie pouvant varier de 3 à 18.
Ce qui m'a semblé intéressant avec ce système, c'est que cela permet de nuancer les péripéties : par exemple, confronté à un piège, un personnage disposant de la compétence "agilité" s'en sort sans dommages dans
Destins. Ici, selon mon score en agilité, je vais franchir l'obstacle sans perdre de précieux points de vie, en perdre quelques uns ou en perdre beaucoup... Ailleurs, on peut tenter d'amadouer un adversaire potentiellement redoutable, et notre score en charisme ouvre trois voies différentes.
Le récitL'accroche tient sur un post-it, les motivations des quatre personnages proposés sont juste esquissées... L'introduction nous place directement devant l'entrée du donjon, et... voilà !
Et pourtant, une fois lancé, on découvre un auteur qui sait manifestement écrire : les situations sont plaisantes, les personnages rencontrés sont bien caractérisés, ont une raison d'être là, et l'interaction avec eux est toujours amusante et intéressante. Le style est bon, les descriptions sont vivantes et soignées.
Pas de second niveau de lecture, de regard sociétal critique ou de miroir tendu au lecteur pour susciter sa réflexion. Ce n'est pas le propos : Hari Conner nous invite à nous amuser dans un "simple" dungeon crawling, mais il le fait avec ce petit truc en plus qui rend l'ensemble attachant et qui fonctionne parfaitement.
Sur ce plan là, c'est un livre à placer donc plutôt du côté des "jeux très bien écrits" que des "bons récits auxquels on peut jouer", si vous voyez la nuance.
La difficulté, la rejouabilité, tout çaParvenir à ressortir du donjon n'est pas un challenge insurmontable. Il y a très peu de PAF, et ceux qui existent ne nous prennent pas en traître. Ils sont amenés de manière logique et anticipable, et à chaque fois, différentes options sont proposés en amont pour les éviter ou les surmonter. Reste que les obstacles sont nombreux, que les manières de les résoudre n'est pas toujours si simple : il m'a fallu plusieurs tentatives avant de parvenir à ma première réussite. La difficulté est très bien dosée pour un lecteur comme moi. Ni frustrant, ni trop facile.
En dehors de quelques points de passage obligés, la carte est assez ouverte, et les chemins pour sortir du donjon, s'ils s'avèrent variés, ne sont donc pas très longs. Dès lors, l'auteur travaille plutôt sur le plaisir d'y retourner, et je trouve qu'il y a réussi de belle manière.
A la fin, il s'agit de rapporter le plus gros trésor possible : quatre seuils de victoire sont proposés auquel le joueur peut mesurer son propre score, en fonction de l'or trouvé et des objets remontés des profondeurs du donjon.
Dans le même ordre d'idée, pour la plus grande joie des "vétérans complétistes ultimes" (sic) une feuille de succès est proposée. Certains de ces succès sont drôles et donnent envie de découvrir comment les obtenir ("perdre un doigt ou un membre" :p )
Les quatre personnages prétirés disposent également chacun d'une mini-fin, pour laquelle il leur est nécessaire d'avoir trouvé un objet particulier au cours de leur quête.
Le Barde fait exception à cela : il est quant à lui bien content et étonné de ressortir vivant. Il est présenté comme un personnage "difficile", en particulier à cause de son score en points de vie, mais je l'ai trouvé très amusant à jouer.
Les possibilités offertes aux personnages sont bien distinctes. Un fort charisme permet de raconter des histoires, de chanter, de mentir effrontément, et l'on se "sent" donc barde. Un personnage agile va se faufiler dans des passages étroits, s'accrocher à des cordes, bondir par dessus une trappe, etc.
En fait, si les quatre prétirés sont vraiment chouette à jouer et offrent une expérience différente et marquée, je suis un peu plus mitigé quant à la possibilité de créer un personnage soi-même.
Par exemple, le fait de devoir utiliser des dés pour tirer les caractéristiques du personnage me paraît maladroit dans un livre qui n'en requiert pas par ailleurs. Je ne suis pas convaincu qu'avoir un personnage beaucoup trop fort (j'ai obtenu un tirage de 6,5,6,4 lorsque je m'y suis essayé), ou moyen en tout soit particulièrement intéressant. Un personnage désespérément nul peut-être un challenge amusant, mais encore faut il avoir la "chance" d'un tirage très mauvais.
J'ai aimé la gestion des objets. Plusieurs d'entre eux peuvent servir en cours d'aventure ou accroître notre pécule en fin de parcours. Mais là encore, c'est fait assez finement : par exemple, je souhaite d'amadouer tel ou tel monstre en lui cédant l'un de mes objets et je peux le faire au moyen de plusieurs items en ma possession. Tous vont plaire à mon interlocuteur, mais lequel choisir ? Lequel me sera utile plus loin dans le donjon ? Lequel pourrai-je revendre pour une fortune en sortant ?
Pas de choix frustrant ici non plus : il est très rare que l'on se retrouve irrémédiablement bloqué à cause d'un objet manquant. On devra simplement passer par ailleurs, ressortir moins riche, etc.
Les situations, et particulièrement les rencontres, sont plutôt originales et savoureuses, et c'est pour moi l'un des points forts du livre. J'ai eu envie de faire plusieurs fois l'aventure avec les différents personnages pour avoir le plaisir de découvrir d'autres options et d’autres interactions avec les créatures croisées.
Les illustrationsHari Conner s'est entouré de trois camarades pour illustrer le livre. C'est là aussi une réussite : le style général est assez léger et drôle sans être infantilisant. Certaines illustrations en pleine page me plaisent beaucoup, par exemple celle-ci, de Letty Wilson :
En fin d'ouvrage, on trouvera une petite présentation des quatre artistes permettant d'identifier leur travail dans le livre. Felix Miall et Faye Stacey sont ceux que je n'ai pas encore mentionnés.
En résuméInto the Dungeon est un livre à la proposition toute simple et sans prétention. Pas de grandiose aventure, pas de révolution du genre en vue, rien de bouleversant ni même de franchement novateur, mais un très chouette petit livre pour passer un agréable moment. Le plaisir que l'auteur semble prendre à donner vie à son petit univers est visible, et par dessus tout, je lui trouve ce talent (pas si commun) de parvenir à partager son plaisir avec le lecteur.
Je n'ai pas repéré de coquilles ni d'erreur d'impression. Le travail semble aussi bien fait sur ce plan là.
On le trouve à un prix qui me paraît tout à fait adapté (un peu moins de 10 euros).
Je lui accorde la note de 16/20 !