(Ccritique déplacée, anciennement placée
ici).
J'ai lu Hôtel Silencio de Benoît Patris (éditions de l'Abat-Jour), après en avoir entendu parler dans
le podcast Radio G auquel avait participé le forumeur Lowbac.« ROMAN INTERACTIF A PORTES ET A CLEFS »De quoi s'agit-il ? Pas vraiment d'un livre-jeu, je me hâte de le dire. C'est un recueil de nouvelles. Après la page de faux titre, une page nous souhaite la
Dans les récits faits dans ce livre, on croisera en effet beaucoup de portes. Mais peu de clés, si peu que c'en est désolant : pas de quoi ouvrir une quincaillerie ou une salle d'escape game. Une seule en fait, celle qui est remise à son arrivée à un personnage à qui le réceptionniste s'adresse si directement qu'on a l'impression que c'est à NOUS, lecteur, qu'il parle. Tout à fait comme dans un livre dont vous êtes le héros, oui, je sais. Au fait elle est bleue, celle de notre chambre.
Les clés qu'il faut chercher sont autres : ce sont des indices semés ici et là, et qui sont supposé, à un point précis, près de la fin du livre, donner le code d'un coffre-fort qui contient une ultime histoire, non listée dans le sommaire.
L'HISTOIRE C'EST LA CHAMBREMais je vais trop vite en musique : pourquoi est-ce que je parle d'histoires ? En pratique, le lecteur aborde un chapitre qui est sa chambre. La chambre 667, juste à côté d'une autre chambre dont le numéro ne porte pas chance*. Après avoir exploré / décrit cette dernière avec la minutie d'une page de Pérec dans
Les Choses, jusqu'à un tableau de Warhol qu'on retrouvera à la fin du livre, nous voilà à la fin du chapitre, confrontés à deux choix. Chaque choix mène dans une chambre différente dont on poussera la porte (sans clé). Ou dans le bar de l'hôtel, sa piscine en attique, sa bibliothèque d'hôtel, etc.
Même s'il y a des choix, en général deux à la fin de chaque chambre-chapitre, la ressemblance avec un livre dont vous êtes le héros classique s'arrête là, car le personnage de la chambre 667 disparaît au bout de quelques chapitres. Son histoire est remplacée par celle d'autres occupants de l'hôtel. A chaque chambre-chapitre une histoire, c'est ainsi qu'est bâti le recueil. On pense aussitôt à
la Vie mode d'emploi de Pérec, encore lui, ce roman énorme qui raconte la vie des divers occupants d'un immeuble dont le plan ressemble à un échiquier, roman où la plume du narrateur passe d'un lieu à un autre comme se déplace le cavalier aux échecs, pour avoir parcouru à la fin toutes les cases sans retomber jamais deux fois sur la même. Simple, non ? Non. Mwuhahaha.
L'HÔTEL TEL QU'EN LUI-MÊMEAu fait, parlons-en de cet hôtel. Le réceptionniste nous annonce de suite la couleur : le petit chocolat posé sur le lit est empoisonné, l'hôtel saura vous retrouver par tous les moyens y compris surnaturels si vous tentez de filer sans payer, à supposer que vous parveniez à quitter l'hôtel, ce que tous les voyageurs n'ont pas fait, certains y ont... pris racine (on s'en rendra compte au fil des nouvelles). Cet hôtel n'a pas d'adresse. Comme les boutiques mystérieuses des histoires de Jean Ray, il ne peut être trouvé que par ceux qui en ont besoin, en suivant la petite lumière verte. Non, pas la fée verte de l'absinthe, quoique. De fait plusieurs visiteurs parlent tantôt d'un briquet vert aperçu avant d'entrer dans l'hôtel, tantôt d'une boîte d'allumettes verte et blanche...
QUATRIEME DIMENSION ETAGEQue dire des nouvelles qui se déroulent dans les chambres ? Elles sont très variées de ton, dans le dispositif de narration, etc. mais systématiquement glauque. Le héros s'en sort rarement. Il tombe dans tous les pièges qu'on croirait échappés de scripts non tournés de
Twilight Zone (une illustration y fait référence) : génie qui n'exauce qu'un voeu, élixir de jeunesse -comme si être jeune c'était être heureux-, montre qui contient tout le temps dont vous aurez jamais besoin, artiste qui construit une maquette de ville faite de boîtes de Xanax et où il finit par se retrouver emprisonné comme dans une ville de poupées, etc.
Des personnages sont récurrents, par exemple l'ascenseur (si, si)**. Il y a des illustrations, sous forme de photos noir et blanc truquées pour obtenir des effet psychédéliques. Chaque chapitre suggère un lien vers une vidéo Youtube tout aussi bizarre, montage d'images et de textes donnant le ton dérangeant du chapitre. On se prend à soupçonner l'auteur d'y avoir semé des images subliminales de kangourous zombies. PARCE QUE.
MON AVIS SUR CET HÔTEL POUR BOOKING.COMLa qualité de l'écriture est vraiment là, les mots ont une réelle force évocatoire. La forme choisie, un parcours labyrinthique en sautant d'un chapitre à l'autre à partir de choix volontairement abscons, veut donner encore une puissance supplémentaire, comme mettre au carré cette écriture horrifique déjà efficace. Il y a quelque chose de Borges dans ce parcours f(L)ou entre les pages. D'ailleurs il doit être cité à un moment ou à un autre, il y a tellement de références tissées dans le texte, allant d'Umberto Eco à La
Soupe aux choux (si, si) en passant par Platon et les contes de Grimm.
Mon avis ? J'ai été à la fois impressionné et bloqué. Impressionné par tout ce qui précède, mais bloqué au moment de se projeter dans chacune de ces histoires. Il y en a plusieurs que j'ai parcourues en diagonale, apparemment je faisais une sorte de résistance au texte pour ne pas me laisser absorber par un projet que je sentais trop englobant pour le lecteur. En fait j'ai résisté à l'implication à laquelle on m'invitait. Ce qui doit expliquer que, même si j'ai remarqué bien des jeux graphiques – une phrase seule au milieu d'une page, des smileys et émoticones en guise de phrases de dialogue (tiens, j'avais aussi fait ça dans l'Escape Book
La Marque de Cthulhu), des jeux sur la mise en forme grasse, soulignée, etc. – je n'ai remarqué aucun des indices ou plutôt des clés (encore elles !) à remarquer pour trouver l'accès à la Suite Noire. Bon, je l'ai trouvée en feuilletant :
- Spoiler:
C'est page 227 pour les curieux et les curieuses.
Et tant qu'à spoiler, l'auteur a signalé lors de l'interview radiophonique qu'à la fin, on se demande si on a bien eu affaire à un hôtel dont les chambres sont des histoires. Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi le dernier chapitre, « Amnesia », mais voici mon interprétation :
- Spoiler:
tout le livre n'est que le conglomérat des feuilletons et films qu'une actrice mourante a vus sans vraiment les voir durant sa lente et sénile agonie dans un hôtel, près d'une télé allumée. Ce qui explique l'impression de déjà vu, de croisements d'histoires connues.
Je ne connais pas bien Lynch mais je crois que ça se rapproche d'une des interprétations qu'on fait de son
Mulholland drive, dont une réplique a apparemment suggéré le titre d'
Hôtel Silencio.
J'ai lu une version électronique, mais Indigo vante dans cet article de livres-jeux.fr la qualité de l'objet-livre. Je crois avoir lu ou entendu qu'on peut lire les chapitres dans l'ordre numérique (sans tenir compte des choix) sans que cela trouble la compréhension.
Est-ce un livre dont vous êtes le héros ? Hé bien ce livre :
relève de la littéraction (choix, lecteur en action par rapport au livre, parcours non unique, identification suggérée lecteur-personnage principal même si ça ne se sent qu'au début et à la fin)
sans être un livre-jeu
classique (nombreux paragraphes numérotés, parcours très divers, le parcours est du début à la fin celui du lecteur-héros, jouabilité matérialisée par des scores).
Indigo remarque que c'est surtout l'auteur qui joue avec son lecteur !...
Avertissement : après avoir lu ce livre, vous ne regarderez plus de la même façon la salade César au restaurant lors de votre prochain séjour à l'hôtel.
Note : chambre 20.
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*Dis-donc on dirait le sujet de la nouvelle
La Chambre n°13 de Montague R. James, d'ailleurs je vous la conseille. Dans le recueil
Le Coche fantôme, histoires de fantômes anglais, chez Gallimard Folio (1981).
**Comme dans un tome de
Métropoles de Cédric Zampini que j'ai eu la possibilité de lire, recueil qui a quelques points communs avec
Hôtel Silencio.