NB, concernant cette collection, mon point de vue n'est pas neutre... D'autres lectures et critiques sont donc bienvenues Une après-midi détente : une chaise longue, un crayon et l'Escape Book Steampunk que j'attendais depuis un moment.
CE QUE ÇA RACONTE Le décor, le cadre : nous sommes au lendemain de la Grande Guerre de 1889. Effarés du carnage provoqué par les nouvelles technologies, les dirigeants ont mis fin au conflit. Toute l'Europe vit en paix. Toute ? Non ! Car un dirigeable mené par un irréductible officier espagnol résiste encore et toujours ! Et la vie n'est pas facile pour les dirigeables de commerce de la Reine Victoria...
Sauras-tu trouver l'intrus ? - Spoiler:
Terreur hors du Temps = moitié lovecraftien, moitié Indiana Jones. Jules Verne = proto-steampunk, l'ancêtre du genre.
Le héros : un agent de la Reine Victoria, chargé de mettre fin aux actes d'aéro-piraterie du Baron Nubar, sorte de Grand d'Espagne qui a tourné casaque. On reste entre "gens de la haute" ; la femme de notre héros se trouve être la cousine de Nubar. Par ailleurs, le narrateur nous régalera de moult digressions sur les excentricités des aristocrates britanniques, c'est décidément une sacrée époque...
Le point de départ : opération furtive. Notre héros joue la fille de l'air sans défense et profite de l'assaut sur son vaisseau pour s'introduire à bord du dirigeable de guerre espagnol devenu vaisseau pirate, le
Relempago (« la Foudre »). On sacrifie l'équipage et la majeure partie de notre équipement au passage. Comme on dit à la cour de Victoria, pas d'Hamlett sans casser des vieux (marins) !
AMBIANCERésolument vernienne, vaporiste et bien vivante, du fait...
du voca. Les jurons (« Je ne suis point châtron, monsieur le Chevalier de la Rosette ! ») aussi bien que les termes techniques. En bon fan de Jules Verne, j'adore ! Petit emballement dans la cabine
6, le Labo, plus techno-vaporiste et plus savant fou que nature, on sent l'auteur jubiler en écrivant.
de l'esthétique : symbole et polices qui fleurent bon le XIXème, visuel de la couverture et du carnet de bord font la part belle aux engrenages et aux fioritures à la plume d'oie...
des babioles : tournevis-clé à molette (façon Dr Who / McGyver), scaphandre à hublots (pour explorer l'intérieur de l'enveloppe d'hydrogène), mécanographes à cartes perforées, clés à panetons mobiles... Toute une quincaille cuivrée qui ne déparerait pas dans le
Nautilus du Capitaine Nemo.
de la cohérence : dirigeable réaliste, il "fait vrai" dans son organisation et son fonctionnement. Le récit traite concrètement la question de l'approvisionnement, de l'entretien, du remplacement de l'hydrogène (gaz difficile à retenir par l'enveloppe, sans compter les manœuvres), de l'économie de combustible en suivant les vents, de l'obéissance et du moral de l'équipage, des punitions, des renseignements à obtenir d'espions à terre... Certain détails techniques sont très précis, comme l'allégement des poutrelles de soutien par des trous, sauf dans les zones blindées, ou encore la forme des crosses de bielle. Bon, j'ai un doute sur le fait qu'on puisse blinder et armer lourdement un dirigeable (question de poids), mais c'est un présupposé de base dans le steampunk, on l'admet le temps de l'histoire et puis voilà ! (comme les sauts dans l'hyperespace dans
Star Wars).
Côté ambiance et écriture, le pari est réussi. Et côté jeu ?
LE JEUOpération stealth, comme annoncé : exercice de haute voltige avec grappin et triple saut périlleux en plein combat aérien... Hum, non, j'invente.
Une fois franchie la porte extérieure, exploration sur deux niveaux : la nacelle supérieure (équipage et machines) puis la nacelle inférieure (commandement). Vous déambulerez dans des coursives étrangement vides, dans une ambiance dopée à l'électro-steam et à l'adrénaline. Les serrures diaboliques du Pr Laloca, l'âme damnée du Baron Nubar, vous donneront du fil à retordre (l'écoutille extérieure était facile à ouvrir, mais pas les suivantes). Heureusement, les aéromarins ne sont pas des lumières ! Vous trouverez un peu partout les pense-bêtes grâce auxquels ils se rappellent des codes d'accès... Attention, à tout moment, des aérobots (gardes sans visage, mus par la vapeur) peuvent vous tomber dessus. Ils développeront des ripostes à vos coups et vos armes à mesure que vous progresserez...
EDIT après avoir
lu l'EB2 Prisonnier des Morts : ce coup-ci, pas d'arme ultime qui marche contre tous les adversaires !
- Spoiler:
Il semblerait même que les derniers adversaires ne soient pas possibles à battre du tout. Ils se sont adaptés et renforcés au point qu'aucune arme ne marche à partir du 8ème aérobot rencontré. Bon, ça n'arrive sans doute que si on déclenche beaucoup, beaucoup d'alarmes !
La situation se renversera vite avec les premières rencontres et la lecture de certains documents, je n'en dis pas davantage. Sachez seulement qu'une partie de votre ordre de mission sera bientôt caduc, et que les expériences du savant fou l'ont mené plus loin qu'il n'aurait voulu...
ENIGMES & MECANIQUECelle, désormais classique, des EB :
– des zone successives à explorer librement (plans fournis), segmentée en 20+14 cabines et pièces numérotées.
– un Carnet de Bord pour les Trouvailles, les Conversations, les Combats, les solutions d'énigmes et Combinaisons de symboles. Le Carnet multiplie abondamment les sous-sections, et les choses identifiées par des lettres. Plus sobre que celui de
Prisonnier des Morts qui était touffu. Graphiquement très réussi.
La mécanique (c'est le cas de le dire) de cet EB est l'association explicite indice-énigme. Je m'explique. Le premier niveau est une "chasse aux pense-bêtes", vous trouvez les notes laissées par les hommes pour se rappeler des code des écoutilles. Chaque pense-bête est marqué d'un sigle, on les assemble par sigle identique.
Je suis enthousiaste pour l'histoire et l'ambiance, je suis timide face à ce fonctionnement qui implique une longue exploration en zig-zag du 1er Niveau, même s'il est vrai que ça reproduit bien le déroulement d'un vrai Escape en salle.
EDIT : article de Winzenschtark! sur la mécanique de jeu.
EDIT2 : suite au post de Sly sur la fiche du livre, je suis d'accord que le gameplay pouvait être allégé :
actuellement on doit combiner
engrenages + symbole de l'énigme + réponse à la place, mettre directement le symbole de l'énigme sur la porte (au lieu des engrenages). Et peut-être se limiter à un seul pense-bête pour les énigmes du Niveau 1.
Avantages : parcours plus simple, mécanique plus adaptée au format livre, tableau de combinaisons allégé
symbole + réponse. Inconvénient : les amateurs d'Escape en salle perdent le côté "je fouille partout en prenant des notes", que le livre reproduit bien.
J'ai un peu cafouillé au début du
1er Niveau, le temps de saisir la logique du jeu et de trouver l'extrémité du fil d'Ariane. Une fois qu'on a compris quoi/comment combiner, ça suit, une cabine mène à une autre. Le récit, les descriptions et les digressions accompagnent nos pérégrinations pendant qu'on déroule le fil. Le Niveau 1 est vraiment vaste, je suggérerais (goût personnel) de le couper en deux parties. Des zones d'explo réduites limiteraient les allers-retours et la quantité de choses à avoir à l'esprit. Cela ne réduirait en rien l'ambiance et la qualité de jeu, ça boosterait peut-être même le rythme, avec une bascule, un twist narratif ou une énigme jouissive pour passer à la 2ème moitié du Niveau 1. De fait, ça ferait 3 Niveaux en tout.
Le Niveau 2 met la difficulté nettement plus haut (pourtant on descend au Niveau du dessous), il faudra certainement recourir aux indices (Aides, p.250-252)... ou "être créatif". C'est la même quête d'indices, mais ils ne sont plus identifiés par un symbole identique à celui de l'écoutille. Du coup, c'est beaucoup plus délicat de savoir quelle indication sibylline suggérera le code de quelle serrure. D'où les indices, en fait. Les énigmes me parlaient moins, j'ai très vite été dépassé et pour les dernières cabines, j'ai triché (pardon, j'ai
été créatif) afin d'accéder au final... ou aux finaux, car il y a deux fins possibles. Rassurez-vous, dans les deux cas on a rempli notre ordre de mission
Mention spéciale à
- Spoiler:
l'aérobot-Frankenstein-cannibale ! On a même un combat scénarisé façon "Voie du Tigre" pour s'en sortir face à lui
A la fin : boum. Ou pas, c'est selon. BILANL'ambiance-vapeur et la découverte progressive des événements survenus à bord du
Relempago sont top, j'ai été curieux de tout découvrir ! Quand j'ai brusquement compris à quoi devait servir le socle de bois, j'ai ouvert de grands yeux - sacrément bien amené. Par contre, la mécanique de jeu un peu répétitive est, je pense, un cran en-dessous de cette vraie qualité d'ambiance et d'histoire. Un lecteur pointu qui cherche surtout du challenge pourra au contraire apprécier cet aspect du jeu. J'ai en tout cas passé un bon moment dans les coursives du
Relempago !
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