NB, concernant cette collection, mon point de vue n'est pas neutre... D'autres lectures et critiques seront bienvenues pour contrebalancer Moriarty est le 1er Escape Book que je parviens à lire en respectant les règles
et c'est normal, on me sait fan de Sherlock ! Avant ça, j'avais laissé de côté
Prisonnier des Morts car les histoires de zombies, que ce soit en livre, en film ou en série, je n'arrive pas (j'ai quand même feuilleté et trouvé des passages drôles et des mécanismes ingénieux). Et lu sans vraiment jouer
La Tour de l'Alchimiste, le prototype érudit de la série, assez difficile, en devinant les liens de mon mieux. La difficulté a été revue à la baisse depuis.
L'HISTOIRE : MORIARTY ENLEVE WATSONLe livre s'ouvre sur une lettre laissée par le narrateur à ses petits-enfants. Il s'appelle Alec McDonald et a bien connu Sherlock Holmes. D'ailleurs, il a rédigé ses souvenirs sous forme d'un petit "récit à énigmes" pour exercer leur intelligence déductive. Le livre qu'on a entre les mains, donc. Le fait de rédiger des années après rend plus naturelles des explications de contexte, du type : « En ce temps-là, le téléphone était encore rare... »
Alec est un jeune policier d'origine écossaise qui fait ses armes à Scotland Yard. Holmes l'a pris sous son aile et lui fait toute confiance. A tel point qu'il lui confie le soin de retrouver Watson, enlevé par l'infâme Moriarty ! Et pendant que vous vous taperez le sale boulot, Holmes ira se faire un ptit cinoche.
Vous aurez compris qu'il ne fait pas bon être ami avec Sherlock !
Notre Alec dresse donc un plan machiavélique et Ô combien subtil pour circonvenir le Napoléon du Crime : il se rend chez lui et sonne à sa porte. Oui, vous avez bien lu. Il y va et il sonne, point. Même pas déguisé en boy scout. En vieille dame qui quête. Ou en pirate. Non, il va chez Moriarty avec son petit costume d'inspecteur, et il sonne
Mais l'auteur, qui n'a pas sa plume dans sa poche, se débrouille pour donner du naturel à la chose. La porte est ouverte, Alec entre, la porte claque et Alec se retrouve enfermé... Il va devoir penser à sa peau plutôt qu'à celle (fripée) du bedonnant Watson.
NB, Alec n'ose ni casser de fenêtre pour sortir, ni nouer de draps pour descendre par le balcon, même quand la situation devient de plus en plus urgente. La société victorienne et sa peur du qu'en-dira-t-on !
LE JEUPassé les premières minutes pour se mettre dans le bain (les règles très particulières de l'EB), je dois dire que j'ai passé un bon moment ! Le jeu a été bouclé en une soirée, Stéphane Anquetil se débrouillant pour que les codes secrets et les énigmes du Manoir Moriarty soient accessibles et sympa. Pas de casse-tête chinois. Il y a :
-
des codes secrets, mais on dispose en annexe de la fameuse monographie de Holmes sur le sujet. Et souvent un message partiellement décodé est placé ailleurs pour aider. Ce ne sont pas des suite de lettres, mais des figures avec des cartes à jouer, des notes de musique sur une portée, ce genre de choses.
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des clés à trouver, des mécanismes à faire bouger. Le Manoir Moriarty est un vrai atelier de savant fou, avec une grande profusion de machines et de zinzins à actionner. Bémol : au bout d'un moment, entre le Bureau, le Bureau d'Etudes, le Bureau Secret, je m'y perdais un peu... Le nombre de pièces aurait pu être restreint. Et avec des numéros de lieux sur le plan.
On admire l'hyperactivité de Moriarty, qui
- Spoiler:
fabrique du gaz toxique, dresse des corbeaux pour voler les Bijoux de la Couronne, fabrique des serrures et des pièges, fait chanter la moitié de Londres, écrit des gros mots sur Sherlock Holmes au tableau noir, enferme des gens chez lui,
et trouve encore le temps de jouer un petit air de piano ou d'observer les étoiles au télescope.
Je craignais de me lasser de faire mumuse avec des messages codés, d'essayer toutes les clés sur toutes les portes et de lire des documents (un almanach, un registre d'expériences, une partition de chanson, un manuel de télégraphie commerciale...). Mais la tension ressentie devant chaque nouvelle épreuve, et la satisfaction de la surmonter sans que cela relève du casse-tête, entretenaient l'envie d'avancer. Ça a un côté légèrement addictif, comme l'envie de finir des mots croisés une fois qu'on les a commencés.
Quelques coffre-forts plus tard, je me débats avec les leviers de l'ascenseur, et me voici dix mètres sous terre :
- Citation :
- Où suis-je arrivé ? Au coeur de l'organisation de Moriarty ? Quand Sherlock parlait d'une organisation souterraine, il ne croyait pas si bien dire !
Il y aura un garde à neutraliser, sauf qu'en fait,
- Spoiler:
dans tous les cas, même si on le menace avec un cure-pipe, qu'on lui donne le mot de passe de la semaine dernière ou qu'on lui dise « Oh, regardez, derrière vous ! », on finit au même point : en cellule. Bien sûr on s'évade assez vite,
en emmenant avec soi les autres prisonniers (une secrétaire et un marin). On apprend au passage que Watson n'a été enlevé que par hasard : le marin avait besoin de soins et il fallait le garder en vie, les hommes de Moriarty ont donc attrapé le premier médecin croisé dans la rue... Pas de bol, c'était le collocataire de Holmes, l'ennemi juré de leur patron ! Aaaah que le monde est petit ! Mais on est trop occupé à courir
- Spoiler:
dans les souterrains de Londres (métro, catacombes à la Indiana Jones)
pour relever cette faiblesse scénaristique. Derrière nous, les hommes de Moriarty montés sur une rame de métro, l'arme au poing. Vite, la sortie !
Et qui nous attend à la sortie ?
- Spoiler:
Holmes, la face enfarinée. Il est venu assister à notre enterrement (!!!) au cimetière sur lequel donnent les catacombes. Le carton d'invitation que Moriarty lui a facétieusement envoyé est arrivé avec quelques heures d'avance, et Sherlock est venu tout de suite sur les lieux... La légendaire efficacité des Postes britanniques.
Ah, au passage on libère Watson avant que
- Spoiler:
les loups du zoo ne lui dévorent les pieds. Presque aussi fun que les requins avec des lasers fixés sur le dos dans Austin Powers.
Et le doc trouve même le temps de faire de l'humour :
- Citation :
- - Watson, mon vieux Watson, dit Sherlock avec plus d'émotion dans la voix qu'à son habitude. Il ne vous ont pas maltraité, au moins ?
- Pire ! Cet imbécile de gardien n'arrêtait pas de me parler de vos aventures. C'est un fan, il est abonné au Strand Magazine. Il n'arrêtait pas de me poser des questions embarassantes sur vous ! Et si vous existiez, et si vous étiez vraiment si fort, et patati et patata ! Une vraie plaie !
Ce dialogue-là, je regrette de ne pas l'avoir écrit, c'est vraiment drôle
AMBIANCEL'auteur est un auteur de scénarios pour le jeu de société
Sherlock, Détective Conseil et ça se sent : il maîtrise à fond son sujet. Rien que dans l'intro, j'ai repéré une allusion à
La Vie privé de Sherlock Holmes (film et roman) et au dessin animé de Miyazaki avec Holmes en renard et Watson en chien.
L'auteur est également calé Histoire, jusqu'à des détails étonnants : le prix des ampoules, les usages sociaux et commerciaux, les sommes d'argent, l'histoire de Londres... Exactitude historique plaisante et instructive, sauf à quelques moments où elle bride la fantaisie ou l'élan du récit. En tous cas j'ai appris des choses, moi qui croyais connaître le XIXe sur le bout des doigts.
Mention spéciale au perso de Moriarty, dont les motivations sont en partie exposées. Il semble cultiver un grand chagrin, en rapport avec un certain militaire de belle prestance, injustement déchu de son grade. Le portrait de cet homme se trouve à deux endroits de sa maison. Moriarty veut faire payer à toute la société le déshonneur que ce proche a subi. L'auteur n'en dit pas davantage.
QUALITES ET DEFAUTSMécanique de jeu- le plaisir de tout fouiller. Le background est cohérent et riche
- très bon point : la solution de la plupart des énigmes sont indiquées dans la suite du récit. L'Epilogue traduit les principaux codes secrets. Les précédents EB nous laissaient un peu "à sec" à ce niveau-là.
Quant à la difficulté- 2ème étage, trop de choses se mélangent. Peut-être retirer une énigme à ce niveau, par exemple celle du coffre Chub.
- aucun indice pour comprendre l'énigme « SHERLOCK = 91 ».
- Spoiler:
Le classique A=1, B=2... S+H+E+R+L+O+C+K = 91.
- dans
L'ABC de la télégraphie commerciale, chaque instruction est codée par un mot
et un chiffre. Peut-être retirer la colonne chiffres car c'est une fausse piste de plus, au moment où les indications chiffrées se multiplient au 2ème étage.
- à partir de l'ascenseur vers le sous-sol, les transitions doivent parfois être devinées.
Des "bugs" ? A vérifier- l'indicateur Porlock devient Porky dans la Conversation avec le Garde (p.237). Bon, c'est peut-être son surnom.
- inventaire d'objets : certaines entrées ne sont pas des objets mais des rappels de lieux vus.
Dans les "Game Over" appelés MORT-IARTY (l'équivalent du paragraphe
14 de JH Brennan) :
- MORT-IARTY N°5 manque.
- une ou deux récits MORT-IARTY ne semblent pas avoir de lien avec le jeu (mais je n'ai pas trop creusé) : des parties coupées ? A vérifier.
Mise en page- séduisante, beau boulot sur beaucoup de choses ! Page de garde des annexes, fac-simile de documents anciens...
- mais problème d'échelle ou d'impression. Le Planisphère est peu lisible. Le message codé en cartes à jouer : comme c'est tout petit, on confond Valet et Roi.
- liste de codes d'ascenseur touffue, peut-être plutôt un court tableau plutôt.
Beaucoup de détails, mais justement ce sont des détails. Une histoire efficace, qui nous fait explorer la psychée de Moriarty. L'auteur a peut-être manqué de temps pour finaliser le jeu - il a pris la place au pied levé d'un premier auteur qui avait jeté l'éponge, à ce que j'ai cru comprendre...
Et malgré tout : un plaisir à jouer et à avancer dans ce récit-jeu, à revivre une aventure holmésienne, à arriver à la fin tambour battant.
NB, j'assume certaines imprécisions volontaires (par ex. dans le résumé de l'histoire), imprécisions destinées à rendre la chronique plus attrayante.[EDIT 10/10/17 : l'auteur Stéphane Anquetil signale des erreurs factuelles dans le retour ci-dessus. Maintenant, à VOUS de lire Le Piège de Moriarty et comparer, comme au jeu des 7 erreurs... Un jeu dans le jeu !]Pour le diabolique et efficace
Piège de Moriarty, je mets avec plaisir la
Note de 15/20.