Les Hiéroglyphes de l'Horreur de Claus Lenthe est mon premier livre-jeu "Œil Noir". Surprise : une intro assez développée alors que la plupart des paragraphes ne font que quelques lignes. Voici un exemple représentatif :
- Citation :
- Vous vous trouvez dans une galerie de 7m de longueur et de 1m de largeur, qui se termine à l'est par une étroite ouverture. Si vous allez vers l'est, rendez-vous au 68. Si vous préférez la direction ouest, rendez-vous au 65.
Le sujet, des signes prophétiques gravés par magie sur le mur d'un palais, est inspiré d'un épisode de la Bible, dans le Livre de Daniel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mene_tekel
Mais prenons les choses dans l'ordre, d'abord...
L'INTROLongue de presque quinze pages, elle raconte en JE dans un style rapide et badin la constitution d' « une troupe joyeuse formée d'une quinzaine de jeunes gens et de quelques vétérans en quête d'aventure » dans les terres d'Aventurie. Pas le groupe classique magicien / barbare / elfe ou nain, mais des personnages hauts en couleurs :
- Citation :
- Rachel, la fille d'un métayer de la lointaine Al'Anfa...
Malus, un ancien pêcheurs...
Agur, le marin qui était venu nous rejoindre en compagnie d'une femme-soldat, Doradore, tomba amoureux de Foriana, l'amazone. Doradore les prit en flagrant délit. Folle de rage, elle poignarda Agur et s'attaque ensuite à Foriana...
La grosse Mimm, qui était tenancière de bordel à Festum avant de se découvrir une passion pour l'aventure...
Soit dit en passant, à part la geisha qui propose un massage dans je ne sais plus quel tome de "La Voie du Tigre", c'est la seule mention explicite du « plus vieux métier du monde » que je remarque dans un livre-jeu Gallimard.
Ce petit groupe arrive à dos de dragons à Zorgan pour assister à des festivités, celle où la princesse Sybia offre la main de son fils à la femme qui remportera un tournoi :
- Citation :
- Finalement ce fut Irma, une amazone des Hauts de Baluk, qui gagna le tournoi et devint donc l'épouse du chétif Arcos. En voyant venir à lui sa blonde fiancée aux muscles puissants, Arcos eut un regard apeuré, et il ne put cacher son embarras lorsqu'elle s'approcha et le serra dans ses gros bras en souriant !
Hélas, comme aux Noces Pourpres de
Game of Thrones, qui dit mariage dit casseur d'ambiance. Dans la grande salle des fêtes, un coup de tonnerre éblouit tout le monde, puis quelques instants plus tard, un message en hiéroglyphes apparaît, gravé par des traits de feu sur la grande paroi de pierre ! Un vieux mage y lit un avertissement, une sombre histoire de malédiction, lancée par un sorcier... mort depuis 400 ans ! Les héros, contre la promesse d'une modeste récompense, partent vers la tour du mage - en fait une sorte de montagne artificielle. Las ! Comme dans un slasher movie pas inspiré, tous les aventuriers meurent les uns après les autres. Morsure de troll ou de serpent, falaise qui s'écroule, bref, à la fin le seul qui arrive en vie devant la tour, c'est notre héros.
Et vu que c'est lui qui raconte l'histoire, je me demande s'il faut le croire sur parole... Et s'il avait tué tous les autres ?
LE JEUÇa partait bien avec cette intro sympa et colorée, et, et, ET ?... Et ça retombe comme un soufflé. Seulement 190 paragraphes très courts, qui décrivent platement les pièces du donjon : tant de mètres sur tant, il y a un coffre, voulez-vous l'ouvrir ? Même Paul Vernon (technicien de l'écriture blanche, injustement décrié pour une série de livres-jeu trop denses et mâtures pour être pleinement appréciée d'un public goujat) n'aurait pas fait plus, comment dire ? Epuré, expéditif, laconique.
L'aventure consistera à explorer les salles (de préférence en traçant un plan, le croquis des salles est fourni). Les PFA sont particulièrement nombreux, souvent injustes : une décision banale peut, sans avertissement ni jet de dé salvateur, mener à la mort.
Plusieurs renvois en cascade (le
137 renvoie immédiatement au
128) et paragraphes anti-triche un peu rigolos (
45, 138)
TROIS BONS POINTS avec un certain humour, Claus Lenthe nous invite deux fois à faire un don en pièces d'or à la « Caisse de Bienfaisance des Veuves et des Orphelins d'Aventurie », l'ancêtre de la Caisse des Donjons de Naheulbeuk.
une aventure non-genrée, les femmes sont des aventurières sans se limiter aux stéréotypes de la servante d'auberge et de la princesse évaporée. Les illustrations montrent alternativement héros et héroïne en prise avec le danger.
une très bonne idée d'intrigue : le croisement entre méd'fan et... un autre genre, puisque la tour se révèle avoir été bâtie sur
- Spoiler:
l'épave d'un vaisseau spatial... ce qui explique que certains couloirs soient métalliques et qu'on croise tantôt des Orques tantôt des robots. Le héros les décrits comme des colosses de fer, des golems de métal, alors que les ordinateurs de pilotage sont vus comme des objets magiques !
Au 59, on communique avec le Cerveau du vaisseau qui nous révèle ce qui est arrivé. Le vaisseau, l'équivalent spatial du navire d'exploration botanique et géographique de Darwin le Beegle, est venu de Rigel VII il y a quatre siècles en quête de spécimens. Un puissant mage d'Aventurie s'est emparé de l'engin par magie (inconnue des Rigéliens). Pour étudier à loisir les secrets technologiques de Rigel, il a fait construire sa demeure fortifiée autour... Le Cerveau, incapable de redécoller, n'a pu qu'assister à la mise en esclavage de l'équipage sans pouvoir agir. Le sorcier est devenu si puissant que d'autres mages se sont alliés contre lui, mais avant de mourir il a volontairement mis en surcharge le réacteur nucléaire pour que le nuage radioactif détruise l'Aventurie des années après sa mort - une vengeance à retardement.
Hasard, le livre a été traduit en français en 1986, l'année de Tchernobyl ! Toutefois la VO est de 1984. ET l'extraterrestre (1982) est une inspiration plus probable : on aide le Cerveau à se reconnecter aux systèmes du vaisseau pour "rentrer maison".
Les hiéroglyphes (rappelez-vous ! C'est dans le titre !) se révèlent avoir été gravés
- Spoiler:
au laser longue distance par le Cerveau du vaisseau, conscient que le réacteur approche de la phase critique. Incapable de stopper la réaction en chaine, il a utilisé sa seule arme (tirant bizarrement par-delà l'horizon) pour graver un avertissement dans la langue ancienne de l'Aventurie.
Nickel, ça raccorde pas mal du tout et ça renouvelle de manière intelligente deux univers complètement différents ! Ce que les illustrations rendent d'ailleurs très bien aussi.
Après cette révélation, la fin est assez nulle, expédié en quelques lignes, pouvant se résumer ainsi : vous rentrez seul à Zorgan et vous recevez 100 Pièces d'Or des mains de la princesse, en route vers de nouvelles aventures. Je résume à peine !
BILANUn bouquin qui combine :
les fulgurances d'écriture : intro, révélation finale
et une étrange paresse : paragraphes ultra-courts, pas un mot des pensées du héros, des sensations devant un cadre aussi surprenant. Remplissage en transformant les paragraphes restants en anti-triche ou liens inutiles ; fin indigente.
On a l'impression curieuse qu'un canevas ou un premier jet rapide a été pris tel quel pour être publié alors qu'il avait vocation à être retravaillé, étoffé. Seul avantage, il est facile pour un MJ débutant d'en faire une partie d'initiation au jeu de rôles d'une heure ou deux, en le lisant à voix haute et en proposant les choix au(x) joueur(s).
Note : 8/20