C'est avec un retard honteux que je reprend la suite de ce sujet, la faute à une semaine de fêtes et de banquets en tout genres, excusez-moi donc pour ce délai qui mérite le pal. Pour me rattraper, j'ai travaillé toute la journée et soirée pour corriger ça et je vais pouvoir vous donner le fameux classement demain (plus qu'à mettre en forme).
Dans ce post-ci, je voudrais juste revenir un peu sur l'histoire des dimensions qui ont servi au jugement des livres ; non pas sur la question de leur hiérarchie d'importance que j'ai déjà abordée (à mes risques et périls on l'aura remarqué si on lit mon autre sujet), mais sur celle des
prédispositions des lecteurs à l'égard de ses dimensions.
En fait, en étudiant à partir des jugements la moyenne et l'écart-type (sorte d'éloignement moyen des notes par rapport à la moyenne pour évaluer leur dispersion) de chaque dimension, je me suis aperçu qu'elles différaient pas mal.
Concernant la moyenne, cela veut dire que les lecteurs sont naturellement plus "cools" avec certaines dimensions que d'autres, c'est ce que je qualifierai d'
a priori.
Concernant l'écart-type, cela veut dire que les lecteurs sont plus ou moins indépendants de leur prédisposition, c'est ce que j'appellerai la
variabilité de l'avis.
J'ai classé les a priori en très positif, positif, neutre, critique ou très critique (suivant une classification objective basée sur la dispersion des moyennes) et les variabilité d'avis en forte, assez forte, moyenne, assez faible ou faible (suivant une classification basée sur la dispersion des écarts-types).
Regardons d'abord les dimensions du paquet "artistique" (ou "narratif") du post précédent :
- Univers : a priori très positif et variabilité moyenne
- Histoire : a priori neutre et variabilité assez faible
- Descriptions : a priori neutre et variabilité faible
- Personnages secondaires : a priori positif et variabilité faible
--> On constate que pour ce paquet de dimensions, le lecteur semble plutôt bien disposé. Mon opinion est que cela peut être dû à l'une et/ou l'autre de ces deux raisons : la reconnaissance de l'effort de l'écrivain pour créer un histoire dans un monde imaginaire (on est difficilement spontanément cassant) et le loisir joyeux et vivant (mentalement parlant) de se dépayser en lisant un ldvelh (on comble tout seul une partie des lacunes avec sa propre imagination, ce qui donne un mélange apprécié puisque venant en partie de soi).
On remarque aussi que le levier le plus puissant de variabilité d'avis est l'univers, puis vient en second rang l'histoire. Les descriptions et personnages secondaires ne bénéficient ensuite que d'une faible variabilité d'avis, cela veut dire que les lecteurs sont assez peu sensibles à la différence entre un livre bon et un livre moins bon sur ces deux dimensions, peut-être parce que ce sont des éléments plus difficiles à mémoriser avec précision.
La perception de l'univers du livre semble donc conditionner beaucoup de choses, le reste est presque un "greffon". On retrouve un peu la même chose dans les jeux de rôle, ou la section de description de l'univers est souvent considérée comme fondamentale pour le choix du jeu et pour la construction des scenarii.
On passe maintenant au paquet "ludotechnique" :
Choix : a priori critique et variabilité moyenne
Difficulté : a priori très critique et variabilité forte
--> On remarque que pour ce paquet-là, le lecteur n'est pas très sympa. L'aspect ludotechnique d'un livre-jeu est un peu son mauvais karma : s'il est bien fait, on aura tendance à considérer ça normal, même si la forte variabilité peut amener dans les meilleurs cas à une reconnaissance exprimée. S'il est mal fait, c'est la casse sans remords (plus pour la difficulté que pour les choix). Bon je grossis un peu le trait, mais pour reprendre une pertinente phrase de Wor au sujet de l'aspect technique des livres-jeux : "On en profite en fait mais sans l'estimer à sa juste valeur".
Je pense que pour ces dimensions techniques, le lecteur ne peut pas avoir recours à la même gentillesse que pour les dimensions narratives, car il ne peut pas en combler les lacunes (vous remarquerez d'ailleurs que les règles, qui elles sont modifiables à l'envi par le joueur, ne sont pas considérées comme dimensions purement techniques ; vous verrez d'ailleurs qu'elles bénéficient d'un a priori neutre). D'autre part, un livre mal foutu techniquement provoque des "descentes dans le réel" qui sont très désagréables. On remarquera au passage dans le tableau du post précédent que règles et difficulté sont deux dimensions dont les joueurs surestiment l'importance pour le jugement global. Je pense que c'est parce que la charge émotionnelle des frustrations générées diminue avec le temps au profit d'un meilleur souvenir global de la narration du livre. Les votes reposant beaucoup sur la mémoire des juges et la frustration passagère diminuant avec le temps, on obtient en réalité une importance moindre de la qualité strictement technique des livres dans leur jugement global.
Les dimensions "indépendantes" pour finir :
- Durée de vie : a priori critique et variabilité moyenne
- Règles : a priori neutre et variabilité moyenne
- Action : a priori neutre et variabilité forte
- Personnage incarné : a priori positif et variabilité moyenne
--> Encore une fois, on constate que c'est lorsque le joueur a un pouvoir imaginatif ou créatif sur la dimension concernée qu'il a tendance à être gentil. Concernant les variabilités, il n'y a pas grand-chose qui me semble vraiment saillant.
Je vous laisse en conclure ce que vous voudrez, mais je me permets de vous laisser méditer (si vous en avez envie) sur le rapprochement suivant :
- des études montrent que l'un des critères essentiels d'appréciation d'un message passant par le support écrit est son adaptation au lecteur (compréhensibilité, perches tendues à la réflexion ou à l'imaginaire, segmentation claire des idées ou des épisodes, etc...) ; la recherche en psychologie du langage écrit, ainsi que les (rares) écrivains qui ont la gentillesse de s'exprimer sur la question, soulignent très fortement qu'il ne faut pas chercher à injecter à tout prix ses images mentales ou ses concepts tels quels dans la tête d'autrui, mais à lui proposer des pistes pour qu'il co-fabrique ces images, puis ses propres réflexions, en se concentrant finalement sur le fait de lui mâcher le travail sans qu'il ait l'impression d'une intrusion forcée ou perceptible du mental d'autrui.
- une thèse très complète sur les jeux de société montre que c'est le pouvoir dépaysant d'un jeu ainsi que sa capacité à générer une bonne ambiance entre les joueurs (blagues, moqueries, compétition basée sur une bonne part d'imprévisibilité, ...) qui prévaut sur l'aspect formel du jeu (règles, support, ...) quant à son appréciation.
- mon travail sur ce post et le précédent n'est pas exempt de défauts, mais tend à montrer que le focus des lecteurs de ldvelh est en mode "explorateur d'univers", et que c'est là qu'il faut leur donner à manger en créant un monde-support attrayant et dépaysant, sans être nécessairement très précis dans les descriptions (on a vu que c'est l'univers plus que les mots pour le décrire qui fait l'objet d'un avis réel). Attention, je ne suis pas en train de dire que les descriptions ne doivent pas être de qualité, mais qu'il n'est pas forcément utile de faire voir au lecteur tout ce que l'on veut qu'il voie, c'est aussi son travail à lui de construire et les données suggèrent qu'il le fait de toute façon spontanément. L'aspect technique doit tout faire pour favoriser le voyage, et même si le travail le concernant ne sera pas estimé à sa juste valeur, il se doit d'être irréprochable, bien qu'au pire le fond du livre semble encore l'emporter sur la forme (à nuancer par d'autres analyses d'indépendance des dimensions, cf débat avec Lous).
A demain pour le résultat du classement