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Le livre-jeu, est, en son essence, une expérience solitaire. Bien sûr, on partage ses impressions avec d’autres, une personne peut lire le livre et une autre être le personnage-joueur, mais le livre sert normalement de MJ, le joueur est supposé ne point tricher (un vœu pieux dans certains cas, soyons réaliste).
Puis advinrent un beau jour les sires Farrel et Sutherland, qui décidèrent de jeter un pont vers un schéma jeu de rôle plus conventionnel : une aventure dont la substantielle moelle se révélerait en jouant avec une autre personne, qui aurait le livre-jumeau du nôtre !
Voilà qui est alléchant, n’est-ce pas ? Promesse de coopération, de trahison ou des deux, avec des interactions allant au-delà du texte, quelqu’un avec qui apprécier directement la qualité du livre ou s’en plaindre, du roleplay !
Mais, une fois n’est pas coutume, entre l’idéal qu’on voit à travers le télescope de l’optimisme et la façon de s’y rendre cahoteuse, il peut y avoir bien des écueils.
Venez découvrir lesquels, ami Lecteur, et méfiez-vous des vieux, c’est une espèce particulièrement dangereuse ici…
Lien vers la critique en format PDF : https://drive.google.com/file/d/12DEW7P1WiSzcbu8Bo-DleG9Fx9y19GsD/view?usp=sharing
Deux quêtes, une seule destination
Vous incarnez donc, selon votre préférence (ou une âpre bataille avec votre partenaire), Darian ou Issel.
Darian a commencé du mauvais pied dans l’existence : ses parents sont morts de la peste noire, sa maison a été brûlée et il s’est retrouvé banni.
Heureusement, il a été recueilli par le cousin perdu de Gandalf, Gorfindalf, un des plus puissants mages de Franzos !
Celui-ci détecte son potentiel et s’empresse de l’élever comme son fils, tout en l’instruisant dans les
différents domaines de la magie. Darian se révèle être un élève doué, lorsque Gorfindalf se sent au crépuscule de sa vie, il lui présente une requête : finir ses travaux alchimiques, qui n’ont jamais abouti.
Comme Darian n’a pas spécialement envie de rester dans une tour poussièreuse à consulter des tomes dans un espoir vain d’accéder à autre chose, son mentor lui indique un moyen d’obtenir rien de moins que « l’Ultime Connaissance » : se rendre à la Clairière des Rêves.
Un lieu mythique où, semble-t-il, une âme assez brave peut obtenir ce qu’elle désire…
En l’occurrence, vous l’aurez probablement deviné, ami Lecteur, il s’agira du secret de la Pierre Philosophale ! Rien de particulièrement noble, mais une entreprise que Merlin approuverait vigoureusement. Et Darian aussi, connaissance ou pas, c’est surtout un revenu à vie, ce caillou.
De son côté, Issel a aussi perdu ses parents, le roi Théo s’asseoit sur le trône de Franzos alors que l’héritier légitime, c’est lui !
Hélas, en dépit d’une instruction excellente pour une reconquête différée, le prétendant ne parvient pas à rassembler ce qu’il faut pour récupérer son trône, et désespéré, entend parler de la légende la Clairière des Rêves : là, il pourrait trouver de quoi prouver sa légitimité et devenir le souverain !
Voilà nos deux protagonistes destinés à se rencontrer, même si ce pitch n’est pas outrageusement excitant.
Les auteurs ont voulu jouer la carte de la prudence, en permettant aux lecteurs de vivre les livres en solitaire. Pensée louable, par acquit de conscience, j’ai essayé : c’est effectivement moins intéressant qu’à deux par divers aspects ; de telle manière qu’il aurait mieux valu, à mon humble avis, prendre des risques et ne rendre ces aventures jouables qu’à deux (avec un système plus abouti), avec des phases de séparation (comme il en existe déjà) en fonction des réussites ou échecs de chacun.
On se demande, par exemple, pourquoi on s’embêterait à vouloir attaquer directement notre compagnon de jeu lors de la première rencontre !
L’aspect trahison est d’ailleurs un brin bancal, puisque les objectifs de chacun n’ont rien d’incompatibles.Mieux, ils peuvent même être complémentaires : ma partenaire m’a proposé, une fois monarque, de m’offrir un poste à la cour, en tant que mage officiel et conseiller.
En contrepartie, je pourrai utiliser la Pierre afin d’éviter que les coffres royaux soient vides, unis tous deux par le secret de l’autre, c’est gagnant-gagnant.
Alors certes, Issel pourrait par exemple désirer pour lui seul la Pierre Philosophale, mais le livre incite déjà tellement à la coopération (si vous croyez tous deux le dragon vous disant qu’un seul peut Rêver et qu’il faut s’affronter pour déterminer qui en aura le droit, c’est PFA, pour exemple) que cela serait quelque peu dissonant.
Car même là où ce serait le plus logique – trahir l’autre après avoir chacun accompli votre quête – si vous le faites et que vous réussissez, on vous fait bien comprendre qu’un sortilège vous a incité à la violence, vous contemplez alors avec horreur la dépouille de votre ami.
Pourquoi faire miroiter une véritable adversité entre les deux joueurs si au final tout est annulé par une sorcellerie sortie d’un chapeau ?
Bref, le système n’est pas tout à fait abouti, ce qui impacte directement le côté narratif, le Double Jeu pose également d’autres soucis…
Mais avant de les aborder, opérons un détour obligatoire par les mécaniques de jeu.
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De magie et d’épée
Cette fois-ci, ce sont quatre caractéristiques que possédera votre héros (le livre les appelle « talent », ce qui semble incorrect) : Endurance, Habileté, Agilité et Pouvoir Magique.
Des attributs qui parlent d’eux-mêmes. Ce qui ne va pas de soi, c’est la façon de les calculer : ici, point de hasard comme dans les Défis Fantastiques ! Vous avez 40 points à répartir comme vous le souhaitez, sachant que vous ne pouvez en allouer moins de 2 ni plus de 12 à un même attribut.
Darian doit dépenser 2 points pour chaque point d’habileté supplémentaire, tandis qu’Issel doit dépenser 2 points pour chaque point de pouvoir magique supplémentaire.
De plus, Issel n’est pas très versé dans les arcanes : il lui faudra donc dépenser le double des points d’endurance pour lancer un sortilège !
Ceci n’est pas sans poser quelques soucis…
Tout simplement parce que 12 points d’endurance au maximum, c’est relativement faible.
Cela rend quasiment caduque l’utilisation de la magie par Issel : pourquoi utiliser le sortilège de la Main de Feu, qui coûtera alors 4 points d’endurance à lancer, pour en faire perdre 4 à l’adversaire ?
Il aurait été probablement plus pertinent qu’il possède des talents spécifiques à un guerrier, ou un ensemble de sortilèges lui étant réservé, or, ici, il possède le mêmes que Darian.
Le souci majeur survient avec le système de combat. Si on a l’habileté comme dans les DF, il ne s’agit ici pas de savoir qui va avoir le dessus sur l’autre : au cours d’un même assaut, chacun tente sa chance pour
savoir s’il a touché son adversaire, plutôt comme dans la Quête du Graal.
Là, il faut à chaque fois procéder à un test d’habileté : si c’est réussi, l’adversaire est touché, si c’est raté, vous vous vautrez lamentablement- la réciproque est vraie pour vos ennemis, bien entendu.
Chaque blessure occasionne la perte de 2 points d’endurance, vous frappez presque toujours en premier.
Une heureuse chose, car ce système favorise les scores moyens ou faibles en habileté, là où ils sont mis à mal dans les DF… Et donc, vos ennemis !
Sachant en plus que cette aventure est extrêmement chiche en objets, donc pour les soins, il faudra attendre ceux à la fin de chaque journée ou prodigués magiquement.
Vous aurez beau avoir un score en habileté élevé et toucher 9 fois sur 10, c’est donc assez coton.
D’un autre côté, il y a le système de magie… Votre score en la matière sert uniquement à déterminer lesquels des 4 sortilèges vous pouvez lancer.
Le sens du danger sert assez peu, la télékinésie est utile dans certaines situations (mais exige 10 points de pouvoir magique ! Donc…), la main de feu se fait surclasser par la botte mortelle, qui, pour 3 points d’endurance, permet tout simplement de trucider celui d’en face, sauf exception clairement stipulée.
Et justement, le système n’est pas tout à fait clair. Parfois, le texte indique qu’on peut utiliser tel ou tel sort avant que le combat ne commence. D’autres fois, qu’on doit utiliser nos sorts après avoir été forcé de se défendre à l’arme blanche.
Qu’en est-il lorsqu’on ne nous dit rien- ce qui implique la quasi-totalité des combats lorsqu’on joue avec quelqu’un d’autre ? En a-t-on le droit ?
Quelle que soit la réponse, Darian en sort perdant. Si ce n’est pas autorisé, le pouvoir de la magie est marginalisé. Si c’est autorisé, cela peut devenir trop facile : pourquoi se priver d’utiliser la botte mortelle ?
Une victoire assurée contre une perte d’endurance fixe vaut mieux que s’en remettre à l’habileté…
Quant à l’agilité, elle sert assez peu, que ce soit pour être testée (éviter de tomber dans un trou…) ou lors de certains combats.
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Le rêve de l’un est le cauchemar de l’autre
Tout cela est bel et bon, qu’en est-il de l’aventure ? Est-elle d’une appétissante substance ?
Hé bien, c’est selon. En vérité, en solo comme en duo, on parvient plutôt rapidement à la Clairière des Rêves , en n’explorant qu’une petite partie de la Forêt des Gémissements.
Et c’est là où je dois préciser ma pensée par rapport au jeu solo : celui-ci a tout de même de l’intérêt, car il vous plonge dans des situations qu’on ne vit pas à deux.
S’il y a un fun supérieur à deux, cela dépend principalement de votre partenaire et de sa bonne volonté.
En ce qui me concerne, vu la certaine mollesse et briéveté de l’histoire, nous nous sommes fort amusé à jouer quasiment des personnages de sitcom, versant dans la dérision et parfois la caricature.
La formule y incite d’une certaine manière, parce que je faisais par exemple des descriptions à haute voix de ce que l’on voyait pour mettre de l’ambiance, plutôt que de rester chacun dans son coin à lire son paragraphe. Un brin artificiel, enfin, c’est plus plaisant que de ne s’animer que pour les phases de dialogue.
D’autant plus lorsqu’on n’a pas la même vitesse de lecture… Ce qui rend d’autant moins intéressant la perspective de se se mettre sur le coin du nez ou de s’éviter, chacun vivant son tronçon d’aventure, celui le plus rapide devant attendre l’autre lorsqu’une nouvelle rencontre forcée survient.
Côté interactivité, on a vu mieux.
Et cela nuit à longévité des livres ! En effet, plusieurs situations impliquent de rajouter des paragraphes.
Illustration : nos deux compagnons doivent faire un test d’agilité pour éviter de se retrouver dans une fosse.
Quatre résultats possibles :
A] Darian se banane, Issel triomphe
B] Darian réussit, Issel se plante
C] Les deux s’en sortent
D] Les deux chutent comment des pierresVoilà qui mange rapidement de la place !
Ajoutez les nombreuses erreurs de renvoi de paragraphe en fonction du choix/résultat de Darian et d’Issel, et cela peut devenir franchement pénible pour s’y retrouver.
On ne peut que moyennement compter sur ces fameux Rêves pour rehausser le tout. En solo, ils sont plus aboutis, en duo, vous avancez vers un vieillard, paf, transportés dans une arène aléatoire contre un minotaure, pif, vous avancez encore, vous devez réussir une épreuve de volonté pour marcher sur des nuages, pouf, vous parvenez enfin au vieux qui tente de vous estourbir.
Pas exactement exaltant. Les quelques énigmes sont ridiculement simples (et très moralisatrices), il y a quelques PFA, tandis que la fin a de quoi vous faire sourire à deux, car le Gardien de la Clairière ne vous offre rien de moins que l’immortalité, en plus du reste !
Ce qui est plutôt irresponsable, car on peut avoir le cœur pur à un moment t, puis devenir un monstre quelques siècles plus tard, surtout avec la capacité d’avoir autant d’or qu’on en souhaite…
Ce qui va déjà causer l’effondrement de l’économie locale. Vive l’inflation.
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« Certains rêves feraient mieux de rester ainsi »
Darian le Magicien/ Issel le Guerrier ne sont pas les seuls à avoir voulu transcender l’expérience solo (on trouve aussi Défis et Sortilèges, Terres de Légende, l’œil Noir…) mais forment en quelque sorte le premier maillon, s’orientant d’abord vers le jeu à deux.
Et là, le bilan n’est pas brillant avec cette formule : système de jeu passable, histoire simpliste, mode duo qui impose une faible durée de vie, mode solo sans éclat particulier par rapport à un LDVELH classique, moyennement d’action…
Et, puis, au final, du galvaudage : le jeu d’esquive/trahison ne vaut pas grand-chose par rapport à la coopération. Qui elle-même n’est pas forcément simple !
Il y a de quoi rire et s’amuser, mais aux dépens des auteurs plus qu’autre chose. Dommage, quand on pense à tout le potentiel qu’il y avait.https://i.servimg.com/u/f16/20/45/40/75/seal_o11.png
Note : 8/20